Le spectre des années de plomb
“Après la guerre”, le premier long métrage d’Annarita Zambrano, est à voir au cinéma cette semaine.
Si le passage par le court métrage est pour certains réalisateurs plutôt “éclair”, le temps d’un film pour s’acquitter de la toujours effective “carte de visite”, on pourra a contrario souligner à quel point Annarita Zambrano s’est durablement installée dans le format, signant pas moins de huit films courts en sept ans, de durées comprises de dix à vingt-cinq minutes.
Italienne vivant à Paris, elle a le plus souvent travaillé avec Stéphanie Douet, de Sensito Films, à la production et Delphine Agut comme coscénariste. C’est le cas sur son premier long métrage Après la guerre, qui a été présenté à Un certain regard, à Cannes, en 2017 et qui jette à la fois un pont entre les deux pays de la réalisatrice et entre deux époques. Un ancien activiste d’extrême-gauche, exilé en France depuis les années de plomb, est menacé, en 2002, d’extradition vers l’Italie, donc d’incarcération sans autre forme de procès. Il doit se cacher, en attendant de fuir, en compagnie de sa fille adolescente, qui n’a jamais connu ni le pays de son père, ni sa famille avec qui les liens ont été rompus. Le politique et l’intime se croisent dans les tourments saisissant Marco alors que sa terre d’accueil abandonne le choix de l’apaisement, entériné par la “doctrine Mitterrand”, en faveur des anciens militants rouges ayant tourné la page de la violence et refait leur vie en exil.
Le motif de la frontière avait déjà été abordé par Annarita Zambrano dans le parodique Schengen, où la ligne passait, pour les réfugiés, sur la Seine, entre Rive droite et Rive gauche ! Mais dans le schéma narratif, Tre ore se situe peut-être davantage en écho, mettant en scène une ado partageant trois heures, à travers les rues de Rome, avec son père en permission, emprisonné pour avoir tué un homme, mais cette fois pour des raisons que l’on devine mafieuses, et non idéologiques.
La jeune fille d’Après la guerre, Viola, est en grande partie porteuse du point de vue sur l’histoire. Elle est interprétée avec justesse par une débutante, Charlotte Cétaire, et la réalisatrice récolte sans doute le fruit de son travail au long cours mené avec des adolescents, dans Andante mezzo forte, sélectionné à la Berlinale en 2008, l’acidulé L’heure bleue et surtout l’impressionnant Dans la cour des grands, qui abordait le thème du harcèlement scolaire à l’ère de Snapchat avec une violence laissant sous le choc.
Une inscription aussi minutieuse dans son époque, la réalisatrice l’avait même devancée dès son premier film, qui suivait en plan fixe une jeune femme (jouée par la trop rare Magali Woch) venue témoigner d’abus sexuels au commissariat et se heurtant à la froide perplexité d’une fonctionnaire, une dizaine d’années avant #BalanceTonPorc.
Christophe Chauville
Filmographie courts métrages
La troisième fois (2006, 12 min)
Andante mezzo forte (2007, 20 min, photo)
À la lune montante (2009, 25 min)
Tre ore (2010, 12 min)
Dans la cour des grands (2011, 16 min)
Schengen (2012, 10 min)
L'heure bleue (2012, 11 min)
Ophelia (2013, 15 min)