En salles 12/07/2020

Frédéric Farrucci du court au long : “La nuit venue”

D’abord programmé en avril, le premier long métrage de Frédéric Farrucci sort au cœur de l’été, s’aventurant sur le terrain du film noir dans un Paris nocturne aux allures inhabituelles.

Un bel engouement semble se dessiner autour de La nuit venue, premier long métrage de Frédéric Farrucci, récemment reparti du Champs-Élysées Film Festival avec un Prix du public du long métrage français, rejoignant le Prix de la mise en scène et le Prix de la meilleure musique originale remportés en 2019 au Festival international des jeunes réalisateurs de Saint-Jean-de-Luz. Le réalisateur – originaire d’Ajaccio – a déjà à son actif un répertoire de courts métrages étonnement multiformes : un film sur l’univers rural (Suis-je le gardien de mon frère ?), le monde du rallye (Sisu) ou la communauté rom (Entre les lignes). Si dans ce dernier – qui figurait dans la présélection au César du meilleur film de court métrage en 2020 – le réalisateur chroniquait la journée d’été des laissés pour compte, du petit matin jusqu’au soir, c’est ici son versant contraire, ou plutôt sa prolongation, qui est exploré : la nuit et sa population inconnaissable.

Des motifs prégnants semblent néanmoins émerger de son œuvre qu’il nourrit de nombreux questionnements : l’échec ou les limites du monde moderne et la rue filmée avec un intérêt quasi-documentaire. Farrucci regarde là où habituellement on détourne les yeux. Il se penche sur le Paris de la périphérie (ses campements de fortune, ses clandestins) plutôt que les beaux quartiers ; sur l’immense mur en verre qui entoure la tour Eiffel plutôt que son architecture métallique singulière.

Dans La nuit venue, Jin (Guang Huo, dont c’est le premier rôle) est un jeune immigré chauffeur de VTC. Il sillonne la ville à la recherche de clients pour rembourser une sempiternelle dette à la pègre chinoise. Un soir, il fait la rencontre déterminante de Nomi (Camélia Jordana), call-girl ténébreuse. Dans cet environnement interlope, la violence peut surgir à tout moment, à l’instar de Suis-je le gardien de mon frère ?

On décèle volontiers quelques références aux films noirs classiques, mais avec un regard sur nos contradictions contemporaines, le constat d’une époque sinistrée. On pense évidemment à Taxi Driver de Martin Scorsese et ses déambulations nocturnes inoubliables ou aux nappes musicales enivrantes de Millenium Mambo de Hou Hsiao-Hsien. La nuit venue est un film de déplacements, de glissements dans l’espace au volant d’une voiture (Sisu, court métrage sur les courses automobiles) plongeant vers une nuit vibratile. Les changements notables du travail de Farrucci, en comparaison de ses courts métrages, se nichent très certainement dans une appréhension plus confortable de la direction artistique, avec une facture visuelle plus aboutie. On sent l’investissement et le soin accordés à l’atmosphère, à son arrière-plan ouaté et sa musique électronique, signée Rone, malgré un coût de production extrêmement modeste. Un récit politique joliment déguisé en film de genre noctambule.

William Le Personnic


Filmographie courts métrages
L’offre et la demande (2007, 18 minutes)
Suis-je le gardien de mon frère ? (2012, 24 minutes)
Sisu (2015, 23 minutes)
Entre les lignes (2018, 19 minutes)

 

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