“Arythmie” : direct au cœur !
Société de production parmi les plus actives, Les Valseurs est de surcroît passé à la distribution depuis quelques mois. Avec autant de goût que d’exigence, comme en témoigne ce très beau film russe qui sort cette semaine, “Arythmie” de Boris Khlebnikov.
Mais comment font-ils ? On se pose la question de cette omniprésence et de cette énergie, tant Damien Megherbi et Justin Pechberty font en effet joyeusement “valser” les productions maison – citons évidemment le court d'animation Vilaine fille, d'Ayce Kartal, proposé à nos abonnés de Brefcinema au printemps 2018 – et, désormais, les sorties en salles à travers le même label des Valseurs. Leur premier essai, en fin d'année 2017, était lié à Faire la parole, documentaire d'Eugène Green, un nom suffisant à poser le degré d'exigence ayant conduit à franchir le pas de l'activité nouvelle.
Après un nouveau documentaire, le moyen métrage Midnight Ramblers de Julian Ballester (57 min), à la fin du mois de juin, c'est une fiction qui est lancée en salles en ce milieu d'été, et une fiction plutôt ambitieuse... Fort de son parcours dans les festivals internationaux de l'an dernier (citons Toronto, Karlovy-Vary et, en France, Les Arcs et Arras, où il a décroché le Prix de la critique), Arythmie pose un regard un peu décalé sur le pays-continent qui a justement attiré tous les nôtres, récemment, à la faveur de la Coupe du Monde de football. La Russie de Poutine, on la voit ici au prisme de l'intimité d'un couple en délicatesse et de celui du secteur médical dans lequel Katya et Oleg travaillent tous deux – la première comme médecin, le second en urgentiste constamment sur le terrain, portant secours à une vieille femme en plein malaise cardiaque, à des ivrognes ensanglantés par une bagarre de rue ou à une fillette frappée par la chute d'un câble électrique en rase campagne... Le film, trépidant, est ainsi politique en un sens, plongeant dans les profondeurs de la société russe et montrant la difficulté à exercer un métier de service public en paradoxale période de dérégulation galopante, visant à l'efficacité économique au détriment de l'humain. Mais surtout, il explore un couple en déséquilibres multiples, où l'acoolémie excessive de l'homme ruine l'avenir de sa jeune épouse, plus sage, plus mûre et n'entrevoyant plus d'avenir en commun (voir, au début du film, la saisissante scène de prise de conscience lors d'une tchékhovienne réunion familiale à la campagne)...
On se souvient du nom de Boris Khlebnikov comme coréalisateur (avec Alekseï Popogrebski), alors trentenaire, de Retour à Koktebel ; c'était en 2003, il y a déjà quinze ans... Depuis, il a signé quatre autres longs métrages, demeurés inédits, et c'est donc une réapparition à ne surtout pas manquer qu'il opère, dirigeant des comédiens formidables, Aleksandr Yatsenko et Irina Gorbacheva, qui n'a a priori aucun lien familial avec l'ancien dirigeant soviétique, chantre de cette perestroïka désormais si lointaine.
Christophe Chauville