En salles 22/03/2018

“9 doigts”, de F. J. Ossang, sur les écrans

Voir ou revoir, sur notre site, “Silêncio”, ce « documentaire affectif, élémentaire et primitif » de F. J. Ossang, constitue une belle introduction à son nouveau film, “9 doigts”, sur les écrans cette semaine.

On sort de 9 doigts un peu étourdi par ce trip, ce voyage halluciné au bout de la nuit, en proie à une torpeur dont on peine à cerner les contours.

Dans un espace portuaire, un homme récupère une enveloppe des mains d’un autre, étendu à l’agonie sur les pavés humides. Comme il se doit, c’est la nuit, il pleut, des hommes se lancent à ses trousses. Le film démarre dans les traces bien balisées d’un film noir à l’ancienne, avec un vrai noir et blanc aux accents expressionnistes. La poursuite s’interrompt un temps dans ce que nous comprenons peu à peu être un aquarium et où le personnage poursuivi songe sans doute à semer ceux qui le menacent. Mais c’est nous qui sommes un instant égarés, pris dans une sorte de vertige – sommes-nous dehors ou dedans ? – quand la caméra s’attarde sur des poissons et joue des distorsions visuelles qu’offre l’espace aqueux.

Ce trouble perceptif est à l’image de ce film-labyrinthe et de son récit qui sort régulièrement de ses gongs, de son inquiétante étrangeté, fruit d’un jeu avec les clichés – un château qui pourrait être celui de Moulinsart, une boîte qui renferme une force irradiante, de vagues intrigues sentimentales, un personnage occulte dont la menace pèse sur les destins inquiets des protagonistes – et d’une intrigue dont les linéaments nous échappent.

Les dialogues, qui s’insinuent en nous comme des oracles, des dérives métaphysiques de comptoir, des sous-entendus ténébreux aux couleurs paranoïdes, loin de nous éclairer, ajoutent des couches de mystère, aussi ténébreuses que le vieil océan couleur de pétrole qui isole les personnages sur ce cargo à la dérive. Les sens, toujours, y précèdent le sens. En cela, 9 doigt fait figure d’OVNI dans un paysage cinématographique où, trop souvent, c’est la prime au sujet qui conditionne les succès.

Ossang n’est pas de ce monde-là, il croit encore aux puissances conjointes du cinéma et de la poésie, à la force des plans, des scènes, aux éléments, à toute cette matière concrète, qui vaut d’abord pour elle-même avant de laisser transparaître un faisceau d’hypothèses dont il revient à chacun d’en cristalliser les éventuelles significations.

Car 9 doigts résonne aussi comme une possible parabole.

Jacques Kermabon

Avec Gaspard Ulliel, Paul Hamy, Damien Bonnard, Pascal Greggory, Alexis Manentis, Lisa Hartmann, Diogo Dorial, Elvire, Lionel Tua. Image : Simon Roca. Son : Julien Cloquet. Costumes : Karine Charpentier. Décors : Rafael Mathe Monteiro. Montage : Walter Mauriot. Production : 10:15 productions !. Distribution : Capricci Films.

 

Ferrante (Pascal Greggory) et Kurtz (Damien Bonnard)

 

Magloire (Paul Hamy) et Drella (Lisa Hartman)

 

Le docteur (Gaspard Ulliel) et Magloire (Paul Hamy)