DVD 10/01/2018

Vitalité du cinéma d’avant-garde

Les éditions Lobster ont réuni en un coffret plus de cinquante chefs-d’œuvre du cinéma expérimental. Une excellente introduction à cet univers riche et protéiforme.

Nous n’aurions pas imaginé un coffret consacré au cinéma expérimental de la part de l’éditeur de films français des années 1930, de certains de King Vidor et de bien des classiques du muet, dont des Chaplin, des Keaton et autre burlesques. Nous avions tort. Lobster a aussi en catalogue L’inhumaine de Marcel L’Herbier (1923), L’homme à la caméra de Dziga Vertov ou les éléments tournés du film inachevé d’Henri-Georges Clouzot, L’enfer (1964) ; on ne s’étonnera donc pas de trouver des extraits de ces films emblématiques dans un coffret, qui s’offre comme une excellente manière de s’initier aux avant-gardes cinématographiques.

La force de cet ensemble – plus de 50 films – est de ne pas se revendiquer de telle ou telle chapelle ou telle orthodoxie, mais de proposer une large palette des bonheurs offerts par ce territoire, où dominent les courts métrages, déployé ici selon une large amplitude temporelle, depuis certaines œuvres des premières années du cinéma jusqu’à des productions récentes. L’œil synthétique, Ballets mécaniques, Rêveries ou illusions, Avant-garde d’hier et d’aujourd’hui, les titres des quatre DVD apparaissent plus comme des intitulés commodes pour regrouper vaille que vaille des expériences – au sens large du terme – essentiellement singulières, éminemment visuelles et moins préoccupées de raconter des histoires ou de montrer le monde.

Il y a bien des manières d’apprécier les richesses de ce coffret. On peut se tourner vers les classiques comme Ballet mécanique de Fernand Léger et Dudley Murphy (1924), Spook Sport de Norman McLaren, Mary Ellen Bute et Ted Nemeth (1939), Meshes of the Afternoon de Maya Deren et Alexander Hackenschmied (1943) ou les premiers pas d’Orson Welles, avec angles insolites, interprètes (dont lui-même) grimés et récit obsessionnel, The Heart of Ages (1934).

On peut aussi savourer l’art avec lequel les pionniers jouaient des capacités inédites du cinéma : surimpressions (Early Surimposition, de Frederick S. Armitage 1900), labilité et inversions temporelles (Building up and Demolishing, de Armitage, 1901 ; Impossible Convicts, de G. W. Billy Bitzer, 1906) ; fascination des éclairages électriques (Coney Island at Night, d’Edison et Edwin Porter, 1905).

On peut piocher au gré de ses envies ou de ses curiosités, se laisser fasciner par les formes abstraits et colorée de DL2 (Lawrence Janiak, 1970), enchaîner avec Impresiones En La Alta Atmosfera (Jose Antonio Sistiaga, 1988), un titre en référence à Salvador Dali, un film peint sur pellicule 70 mm dédié à Vincent Van Gogh et non dénué d’humour avec la voix qui intervient à la fin, revenir à un bel exemple de Found Footage, Sappho and Jerry (Bruce Posner, 1977-1978), se laisser surprendre par l’étonnant The Furies (Crime Without Passion) (1934) du méconnu Slavko Vorkapich qui, par le montage, la musique de Beethoven et l’intrusion d’une furie (vengeresse, conscience ou sorcière), relit le film de Ben Hecht.

La possibilité est aussi offerte de regarder chacun des DVD comme un programme et il s’agit peut-être de la meilleure solution pour être emporté par ce cinéma protéiforme qui, à petite dose, peut désarçonner les néophytes, tant le spectacle proposé a peu à voir avec le tout venant du cinéma. Mais une fois immergé dans les éclats et les volutes de couleurs, les variations et déformations optiques, un autre monde s’ouvre à nous, tout à la fois surprenant, ludique et fascinant. Et quand on se trouve attrapé par le virus, le risque est de trouver bien terne ce que le cinéma propose au quotidien.

Le jeu en vaut la chandelle.

Jacques Kermabon

Coffret Avant-gardes, chefs-d’œuvre du cinéma expérimental, 4 DVD, livret introduit par Prosper Hillairet, 2017, 35 euros.