DVD 09/01/2020

Un nouveau Russe : Kantemir Balagov

Sorti à la mi-décembre, le coffret DVD réunissant les deux premiers longs métrages de Kantemir Balagov apparaît comme un incontournable pour tout cinéphile en éveil.

En amont du dossier sur la jeune génération de courts métragistes russes qu'il sera possible de découvrir au sein de Bref n°125, disponible à partir du 31 janvier prochain, il apparaît pertinent d'évoquer la sortie récente d'une édition DVD dédiée à l'un des plus brillants représentants de cette cinématographie à la glorieuse histoire. Le coffret réunissant les deux premiers longs métrages de Kantemir Balagov, puisque c'est de lui dont il s'agit, évoque même un “prodige” et il n'est pas inexact ni excessif de considérer que Tesnota. Une vie à l'étroit et Une grande fille se profilent effectivement comme les deux premières pierres fondatrices d'une œuvre qui sera sans doute capitale. 

Rappelons que Balagov, né en 1991, est par conséquent âgé de moins de 30 ans et qu'il a fréquenté l'école ouverte par Sokourov dans sa ville natale, Naltchik, au nord du Caucase. C'est dans cet établissement que le jeune cinéaste aura réalisé en 2014 et 2015 trois courts métrages : Moi en premier, le documentaire Andrioukha et Encore jeune. Et c'est dans cette ville-capitale méconnue (celle de la Région autonome de la Kabardino-Balkarie, qui ne l'est pas moins) qu'il a précisément enraciné l'intrigue de Tesnota (photo ci-dessous), où un jeune homme et sa fiancée, issus de la communauté juive, se voyaient kidnappés, à la fin des années 1990, immédiatement après leurs fiançailles, leur sort dépendant dès lors de la capacité de leur famille – modeste – à réunir la somme de la rançon demandée. Récompensé par le Prix Fipresci au Festival de Cannes en 2017, où il était présenté à Un certain regard, le film s'appuie sur une solide mise en scène, qui insiste sur les plans rapprochés pour enfermer ses personnages dans le cadre de la même manière que l'étouffante situation qui s'impose ainsi à eux. La narration s'axe tout particulièrement autour du beau personnage de la sœur du fiancé rapté, Ila, mécanicienne “nageant” dans son bleu de travail et se rebellant contre les interdits de la tradition, pour une composition qui valut à sa jeune interprète, Darya Zhovnar, un Prix d'interprétation à Premiers plans, à Angers, en 2018 (en plus du Grand prix du jury).

 

 

 

 

 

 

 

Les promesses nées de cet impressionnant coup d'essai ont été confirmées l'an dernier par Une grande fille (photo de bandeau), à son tour présenté à Cannes dans la section Un certain regard et y recevant un fort légitime Prix de la mise en scène. Le film s'inspire d'une œuvre de la lauréate du Prix Nobel de littérature en 2015, Svetlana Alexievitch, et cette fois, c'est dans la Leningrad dévastée de l'immédiate après-guerre que nous plonge le cinéaste, au plus près d'un tandem de jeunes femmes liées par les tragiques événements passés et en phase de reconstruction, entre enjeux de survie et désirs, ou pas, de maternité. Outre la solide maîtrise de la réalisation, une recherche esthétique poussée joue sur les rouges et les verts dans une lumière jaune qui peut évoquer le style de Kieslowski dans sa dernière période, fascinant et hiératique. L'une des deux héroïnes, surnommée la “girafe”, donne son titre au film par sa taille exceptionnelle et sa présence domine la dramaturgie, le cinéaste filmant méticuleusement – secondé par une directrice de la photographie âgée de 25 ans – son encombrante corpulence, comme un peintre ou même un sculpteur, dont la radicalité ne rime en rien avec une quelconque austérité. Il est à parier qu'on reparlera souvent de Kantemir Balagov dans la décennie qui s'ouvre, sur la Croisette ou ailleurs.

Christophe Chauville

 

Tesnota. Une vie à l'étroit et Une grande fille de Kantemir Balagov, coffret DVD ou Blu-ray, ARP Sélection, 24,99 euros.
Disponible depuis le 11 décembre 2019.

 

 

 

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