DVD 23/05/2019

Souvenirs d’Europe : “Vienne avant la nuit” de Robert Bober

Même s’il est paru depuis deux mois déjà, le DVD de ce très bel essai documentaire de Robert Bober trouve un écho particulier – et salutaire – en cette semaine de scrutin européen à hauts risques.

Ce n'est pas une honte que de le confesser : Vienne avant la nuit est de ces films qui impressionnent tout particulièrement au moment de tenter d'y poser un regard critique. Non pas tant sur la forme, même si elle se révèle pour le coup élégante et foisonnante dans le matériel employé, mais ce court long métrage documentaire d'une heure quinze (sorti au cinéma en novembre 2017) brasse tant d'idées, de sentiments, de souvenirs et d'enseignements pour notre époque assombrie qu'on a une certaine crainte, coupable en un sens, à ne pas le prendre sous l'angle le plus pertinent, sinon à passer à côté de son essence même en l'évoquant.

À l'origine du projet, l'écrivain et réalisateur Robert Bober (qui fut également jadis assistant de François Truffaut sur plusieurs films et dont le roman Quoi de neuf sur la guerre ? fut porté à l'écran en 2002 par Michel Deville à travers Un monde presque paisible) prend comme point de départ un portrait photographique – magnifique – de son arrière-grand-père maternel, Wolf Leib Frankel, qu'il n'a pas connu. Cet aïeul originaire d'un village de la Pologne orientale est mort en effet en 1929, tandis que Bober est né en 1931, deux ans après. Mais un fil les relie, que le cinéaste suit, retraçant ainsi tout un pan de l'histoire du peuple juif en Europe centrale, jusqu'à ces funestes années 1930. Cet arrière-grand-père s'était établi à Vienne après avoir échoué à émigrer aux États-Unis, se voyant refoulé à Ellis Island pour cause de maladie contractée sur le bateau pendant la traversée de l'Atlantique. À travers la capitale autrichienne, c'est aussi l'ombre d'une vie intellectuelle d'une richesse inouïe qui se profile en filigrane, autour des figures de Schnitzler, de Zweig, de Joseph Roth, etc.

Et le film-puzzle de Robert Bober convoque ces hautes figures littéraires en entremêlant leur histoire à celle de sa famille, montant aussi des images d'archives toujours sidérantes (le peuple autrichien accueillant dans la liesse Hitler après l'Anschluss, en 1938) et des vues documentaires de son voyage dans la cité viennoise de nos jours, posant sa caméra dans l'ambiance feutrée de ses cafés, où les clients lisent les nouvelles du monde, ou dans des cimetières à l'abandon où errent les biches. La Shoah se trouve au cœur du propos et de la pensée du réalisateur, comme elle est ancrée dans l'histoire européenne depuis soixante-quinze ans, quoique puissent en dire les nauséabonds nouveaux réactionnaires, volontiers révisionnistes, d'aujourd'hui. 

 

 

 

 

 

 

Ainsi, cette œuvre rare, qui nous est offerte par un jeune homme de 88 ans, apparaît profondément précieuse, alors même que les populismes grimacent hideusement un peu partout sur le Vieux continent : en Autriche justement, mais ausi en Hongrie, en Italie, en France évidemment, et même aux Pays-Bas ou en Scandinavie... Derrière ce titre au très beau double sens, sa voix tombe à pic pour rappeler, à la faveur de cette édition DVD soignée et agrémentée d'un livret tout aussi éclairant, certaines vérités et ramener la culture, la beauté et l'intelligence au cœur du regard que chacun de nous se doit de garder et de perpétuer sur ce qui constitue notre mémoire et notre héritage communs, rien de moins. 

Christophe Chauville

 

Vienne avant la nuit de Robert Bober, DVD, éditions Montparnasse, 20 euros.
Disponible depuis le 15 mars 2019.

 

 

 

 

 

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