DVD 03/03/2017

Félines animations

Revoilà "Le roman de Renard", le grand œuvre de Ladislas Starewitch (1882-1965), singulier artisan polonais polyvalent du septième art qui vécut les trente-six premières années de sa vie en Russie.

Starewitch parvenait à exercer ses multiples talents – de peintre, décorateur, scénariste, caméraman et metteur en scène – en solo, principalement en réalisant des courts métrages d'animation dans le domaine de la ciné-marionnette. Il avait tout autant réussi dans de plus longs parcours avec acteurs1. N'interrompant pas son activité au moment de la Révolution d'Octobre, il s'installa en France dès les années 1920, optant résolument pour l'image par image. En 1930, un magazine parisien célébrait à égalité “l'étourdissante fantaisie” des dessins animés de Walt Disney et  la “vivante féerie” des poupées animées de Ladislas2, lequel venait d'achever (après dix-huit mois de labeur) la bande image d'un long métrage s'inspirant des fabliaux du Moyen-Âge revus par Goethe et La Fontaine. Il tarda à finaliser la production du Roman de Renard par la difficile obtention d'une bande-son à l'avènement du parlant. Son fameux long métrage ne fut synchronisé, d'abord en version allemande, qu'en 1937, l'année même du triomphe de Blanche-Neige et les sept nains aux États-Unis. Il ne sera distribué en version française qu'en 1941 dans notre beau pays occupé...

Entre-temps, définitivement installé à Fontenay-sous-Bois, dans la banlieue parisienne, il demeurait très performant dans le format court (bien qu'ayant d'ores et déjà d'autres longs projets en tête ). Outre le toutou Fétiche Mascotte (1933, le début d'une série à succès3), et la séquence animée (Le rêve de Crainquebille, 1936) du long métrage éponyme de Jacques de Baroncelli, il parvint même, prolongeant – dès 1932 – les performances de ses nouveaux animaux romanesques en les confortant dans leurs rôles, réembauchés dans deux fables de La Fontaine : Le Lion et le moucheron et Le Lion devenu vieux4. Mais plus que les programmes de première partie, il aspirait à de plus importants développements. Les Américains lui proposèrent de les rejoindre en décuplant ses effectifs, mais Ladislas, soucieux de préserver son autonomie, seulement assisté de sa fille aînée Irène, fut cependant tenté (trop tard) par d'autres solliciteurs (slaves) quand leur pays (la Pologne) fut envahi par les forces nazies... Il ne put jamais achever divers sujets, pourtant bien élaborés, bien avant la der des der (sic)... La Paix revenue, il était prêt à tourner Le Songe d'une nuit d'été, d'après Shakespeare. Le scénario, les personnages (à diverses échelles), des décors monumentaux, la forêt foisonnante... “Cela m'intéresse beaucoup, disait-il, je crois que cette œuvre est la plus appropriée à ma technique et à ma recherche du féerique et du magique”. Seuls les capitaux firent défaut. Il n'empêche, des pionniers slaves (Ptouchko, Tyrlova, Zeman), de l'école tchèque au Soleil Levant (Jiri Trnka et Kihachirô Kawamoto), la voie royale de Ladislas avait déjà été balisée et le chemin défriché. Et Le Songe d'une nuit d'été parachevé en 1959 par Trnka et son équipe n'est-il pas, en quelque sorte, un vrai  hommage au pionnier polonais ?5

Outre les roueries de Renart, le bla-bla du blaireau, les pleurnicheries d'un plantigrade et les soupirs de la reine courtisée par un chaton troubadour à la cour du Roi Lion, beaucoup d'autres belles œuvres de Starewitch sont distribuées en DVD par Doriane Film. 

Michel Roudevitch

  • 1. Telles diverses adaptations de Gogol (avec Ivan Mosjoukine au casting), de Pouchkine, Ostrovski, Lermontov...
  • 2. De même que le tsar Nicolas II avait distingué, dès 1911, La Cigale et la fourmi, La Voix du rossignol (1923) de Starewitch sera couronné et honoré (en 1925) par William H. Hays (le terrible « tzar of the movies » aux USA).
  • 3. “Les films de Starewitch valent tous les Mickey du monde”, déclarait un chroniqueur du Figaro le 24 décembre 1934...
  • 4. Dès les années 1920, Starewitch précèda superbement les Américains en adaptant les Fables de La Fontaine. Dans Le rat de ville et le rat des champs (1926), c'est un vrai matou qui sème la terreur au sein de la gent trotte-menue, surgissant sans être invité dans une réception citadine... Disney décrochera un Oscar en concoctant un cartoon sur le même thème (Country Cousin, en 1936). Encore plus tard, le loup lubrique de Tex Avery récidivera, le Chaperon rouge aidant, entre larron des villes et larron des champs (Little Red Riding Hood, 1949).
  • 5. De Tim Burton à Jan Švankmajer, de Ray Harryhausen à Terrry Gilliam, Nick Park et Peter Lord, via Jean-Manuel Costa, voire Wes Anderson (Fantastic Mr Fox) et d'autres réalisateurs de la nouvelle génération, se réfèrent volontiers à Ladislas Starewitch.

 

 

Le roman de Renard, de Ladislas et Irène Starewich (1941, version française, 65'), Doriane Films, DVD, 18 euros.
En bonus : Reineke  Fuchs (version allemande, 65'), Film-stop (n & b muet, 2'24), une scène non retenue (32''), documents de travail.

Un dossier de 50 pages à propos de ce DVD a été réalisé, comprenant des textes, des images et des documents d'archives... Il est disponible ici.