Cahier critique 30/10/2019

"Yasmina" de Claire Cahen et Ali Esmili

“Allez, on ne lâche rien, on se bat jusqu’au bout !”

Quelques plans d’amorce dessinent un personnage éponyme aussi déterminé que résolu. Bien campée entre deux les poteaux du but qu’elle défend férocement, regard perçant et ultra concentré, une jeune fille guette les tirs de l’équipe adverse, se jette sur le ballon, hurle des consignes à ses co-équipières jusqu’à l’autre bout du terrain. Dans les vestiaires, Yasmina se joint aux chants collectifs qui célèbrent la victoire. Mais hors du terrain, à l’image de son poste de gardienne, c’est toute seule qu’elle devra faire face. À travers leur jeune héroïne, victime des politiques migratoires, les réalisateurs Claire Cahen et Ali Esmili travaillent ces oppositions : l’esprit d’équipe se confronte au destin individuel, la ténacité et le désir ardent de “ne rien lâcher” ploient face à l’épreuve du réel.

Car la rumeur court : une perspective excitante se profilerait pour l’équipe féminine de foot de Saint-Étienne. Dans quelques jours, un sélectionneur parisien va venir observer. À la clé, le rêve ultime pour les filles : une place en équipe nationale, la capitale, l’argent. Il reste quelques jours pour s’entraîner. Avec ses copines, mi-sceptiques, mi-rêveuses, Yasmina a envie d’y croire. C’est l’étoile montante du groupe, elle a ses chances. Mais un événement vient mettre un terme à la discussion : dans la rue à deux mètres de là, la police passe les menottes à son père Karim, clandestin sur le sol français.

Dans un souci de réalisme, le film se garde de montrer un personnage infaillible et lui laisse plutôt le bénéfice de la nuance. Karim, placé en centre de détention provisoire, avertit sa fille : elle aussi est en danger d’expulsion. Yasmina est déchirée entre son désespoir et son désir de ne pas laisser passer une chance susceptible de bouleverser sa destinée. Fille courage dénuée de dimension sacrificielle, elle se cache dans les vestiaires pour y passer les quelques jours qui la séparent du match crucial. Mais elle y est en proie à des cauchemars ; sans ses camarades, les couloirs du club sont froids et elle y attrape mal à la gorge. Malgré tout, elle se cache le jour, s’entraîne la nuit, se débat. Sa rage demeurera vaine et ses cris étouffés dans un récit qui refusera tout happy end. Nul ne peut être blâmé pour ne pas tenir face à la violence sourde d’un système oppressif, demeuré ici quasi hors champ.

Ce premier opus a été accueilli en festivals par une impressionnante pluie de prix dans le monde entier. Yasmina fait écho aux multiples héroïnes éponymes de Philippe Faucon et la présence ici de la comédienne Kenza Noah Aïche, à l’écran dans le Fatima de Faucon, en est un clin d’œil. Notons aussi la présence de la comédienne belge Catherine Salée, qui apparaissait dans cette autre œuvre naturaliste qu’est La vie d’Adèle, d’Abdelatif Kechiche, ou récemment dans le beau court métrage Des fleurs de Baptiste Petit-Gats, également produit par Yukunkun.

Yasmina a reçu l’appui du dispositif du CNC “Talents en courts” qui identifie des projets portés par des cinéastes sans formation ou éloignés des réseaux professionnels du milieu. Gageons qu’il permettra de mettre en lumière bien d’autres récits de ce type.

Cloé Tralci

Réalisation : Claire Cahen et Ali Esmili. Scénario : Ali Esmili. Image : Éric Dumont. 
Montage : Baptiste Petit-Gats. Son : Rémi Chanaud, Florent Castellani et Jules Jasko. 
Musique originale : Wissam Hojeij. Interprétation : Hana Mekacher, Capucine Valmary,
Kenza Noah Aïche, Sébastien Houbhani, Patrick d'Assumçao et Catherine Salée. 
Production : Yukunkun Productions.