Cahier critique 26/08/2020

“Violente” de Christophe Blanc

Un film noir jarmuschien en diable.

Il est encore des courts métrages qui refusent d'être de simples entreprises de séduction. C'est la bonne nouvelle que nous apporte Violente. Christophe Blanc appartient à une espèce en voie de disparition : celle des débutants qui, au lieu de commencer par la fin (en faisant du cinéma pour plaire à tout prix à leur spectateur), prennent leurs marques sans tricher sur une vraie ligne de départ (en faisant du cinéma pour vivre une histoire – d’amour – avec ce qu'ils filment).

Avec Violente, ce rapport à l'image ne se contente pas d'être juste, il est aussi d'une bizarrerie totale et d'une originalité stupéfiante car ce que filme Christophe Blanc n'est rigoureusement pas aimable. Violente est en effet une violente descente dans un réel qui vous déprime à la vitesse d'une lumière blafarde, celle du sud de la France, plus morose et plus sordide qu'on ne l'a jamais vu. C'est là que pourrissent, dans un hôtel minable, une femme, une enfant et un homme, et c'est sur un petit trafic de la dernière chance qu'ils misent pour changer de vie.

Losers définitifs, la poisse du monde et du manque – d'amour, d'argent – leur colle à la peau. Sur ces corps fatigués et fragiles, sur leur laideur (l'homme nu, malingre et adipeux à la fois, dans une salle de bains froide : une image radicale de l'antidote érotique), Christophe Blanc ne ferme pas les yeux. Il les caresse brutalement du regard, il s'agrippe à ces personnages dénués de tout et c'est peu dire qu’en retour on s'attache aussi beaucoup à eux. Jamais obscène dans son projet d'approcher de manière quasi tactile la vérité d'une vie exsangue, le film installe un climat d’étrangeté et d'anxiété toujours dérangeant. Et pour cause : c'est l'insidieuse arrivée de la mort qui se joue sous nos yeux. Et ce n’est pas rien. Réussir à mettre en scène ce cauchemar éveillé, hanté par une beauté secrète et venimeuse, savoir mêler à ces sensations souterraines l’efficacité d'un film de genre (Violente frôle sans cesse le polar, le thriller, le suspense, la folie, le dérèglement) et la délicatesse d’un beau portrait de femme (interprétée par une actrice admirable, Françoise Descarrega), c’est être, en un mot, cinéaste.

Frédéric Strauss

Article paru dans Bref n°12, 1992.

Réalisation et scénario : Christophe Blanc. Image : Pascal Poucet. Montage : Mariette Gutherz. Son : Stéphane Larrat. Musique originale : André Serre. Interprétation : Françoise Descarrega, Jean-Jacques Benhamou et Roxane Le Bouc. Production : Les Films du Fleuve.

Ce film a été récemment numérisé par L'Agence du court métrage.