Cahier critique 25/04/2018

“Vinyl” de Julien Hallard

Une journée presque ordinaire dans la boutique de vinyles la plus loufoque de Paris.

Par ses courtes saynètes et avec son duo filmé en noir et blanc (ou presque), Vinyl, d’emblée, fait résonner dans l’esprit du spectateur deux références majeures de la pop culture au cinéma. D’un côté Jim Jarmusch et sa série de courts réunis dans le long métrage Coffee and Cigarettes(2004), de l’autre Kevin Smith et ses employés d’épicerie et de vidéoclub pérorant jusqu’au vertige dans le mythique Clerks(1994). Les ressemblances s’arrêtent là, le film de Julien Hallard, dont le terrain de jeu est une boutique de vinyles, privilégiant un dispositif l’apparentant à une succession de courtes pastilles qui auraient tout aussi bien pu être, se dit-on, déclinées en nombre pour la télévision ou pour Internet. Pas de début ni de fin, donc, dans ce court métrage qui dure le temps d’une face A tournant en boucle, sinon les marqueurs temporels correspondant à un matin d’ouverture et à une soirée de fermeture.

C’est la limite d’une œuvre très légère, ouvertement récréative, qui, réalisée en 2009, précédait de peu le retour en grâce du support de diffusion de la musique enregistrée lui donnant son beau titre (à une époque pas si lointaine, mais déjà obsolète, où il paraissait encore naturel d’acheter des CD – comme en témoigne la visite d’un client s’étonnant de ne pas en trouver dans ce magasin de musique).

Contemporain de la grande époque des blogs musicaux, Vinylcaptait aussi, il y a dix ans, quelque chose de l’érudition se déployant alors sur Internet, ailleurs qu’autour des étals des disquaires, avec deux personnages de passionnés-résistants pouvant s’écharper des journées durant sur le moindre crédit d’une pochette. Un film dans l’air du temps, un film “rock”, aurait-on pu écrire paresseusement, qui anticipait l’accessoirisation du 33-tours en objet à la mode. Renouvellement générationnel d’ailleurs préfiguré avec flair viale groupe d’ados insolents débarquant dans cette boutique qu’un dernier plan mélancolique vouait pourtant à la disparition (“bail à céder”, s’inscrivant sur le rideau de fer).

Une fois ce décor brillamment planté, Vinylfonctionnera en déclinaisons d’un même motif (tel plusieurs morceaux se succédant au gré des fadingsou des fondus au noir), avec son duo mal assorti mais complémentaire (le patron taiseux, esthète et autoritaire ; l’employé fan de heavy metal) confronté à différents clients hauts en couleurs ou s’opposant, dans l’ennui de journées maussades, sur un tee-shirt à porter, sur les mérites comparés de Jimi Hendrix et de Joe Satriani ou sur les théories concernant la mort présumée de Paul McCartney. C’est forcément amusant pour l’amateur de rock (qui y reconnaîtra des proches ou certaines de ses lubies). Et le dispositif minimal se voit renforcé par une galerie de personnages annexes amusants que l’on a forcément vu soi-même traîner dans ces boutiques (du nerdtrop fier de déballer ses nouvelles trouvailles à l’amateur de jazz exotique un rien arrogant).

Au final, la justesse d’observation d’un Julien Hallard connaissant bien son sujet fait de ce film mineur (Cheveu, réalisé un an plus tard, paraîtra plus ambitieux) un court métrage aussi réjouissant qu’infiniment sympathique.

Stéphane Kahn

Réalisation: Julien Hallard. Scénario: Julien Hallard et Matthew Bond. Image: Julien Hallard. Montage: Jean-Christophe Bouzy. Décors: Fabrice Bazingette et Matthew Bond. Son: Emmanuel Bonnat, Vincent Verdoux et Julien Roig. Interprétation: Fabrice Bazingette et Matthew Bond. Production: Les Films Velvet.

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