"Viejo Pascuero (une petite histoire de Noël)" de Jean-Baptiste Huber
Un petit bijou d’irrévérence déchaînée qui suivit une trajectoire de météore au milieu des années 1990. Idéal en cette période ouatée de fêtes de fin d’année...
Quelque part au Chili. Un gosse des rues fait le mariole devant nous. Manifestement, il sait qu'on le filme. Il court, grimpe sur une bouche d'incendie, rente de garder l'équilibre, tombe. L'image lui emboîte le pas, le cadre s'agite nerveusement : chaque photogramme est une photo bougée. Commence alors un air de guitare claire. Le tout est joyeusement remuant, vivifiant.
Cependant Viejo Pascuero est avant tout un film qu'on lit. On pourrait le classer parmi les films épistolaires. Le garçon lit en voix off une lettre, que d'abondants sous-titres nous traduisent. La lettre est celle d'un enfant au Père Noël, et commence par la touchante formule : "Viejo Pascuero" (Cher vieux Père Noël). Pourtant très vite le ton monte. Jaimiro (le signataire) n'a pas reçu la bicyclette commandée, par contre il a trouvé sous son lit une trompette et une balle en plastique. C'est qu'il avait fait des efforts pour mériter autre chose. Et pire que tout, le fils du patron de son père, "ce grand mange-merde", a été couvert de cadeaux. L'injustice est trop grande, impardonnable. Et de sa voix douce, presque rauque, Jaimiro finit par déverser un véritable torrent d'insultes : "J'aimerais que tu chopes le sida ou le choléra, vieux mille fois pédé et enculé de ta mère."
On pense à L’île aux fleurs du Brésilien Jorge Furtado, parce qu'il y dénonce les mêmes injustices sociales, avec une même rigueur de construction (la lettre est un crescendo puissant et régulier). Mais aussi parce qu'aucun des deux films n'aborde son sujet frontalement. Jorge Furtado feint de nous perdre dans les méandres du savoir encyclopédique ; Jean-Baptiste Huber cache sa petite histoire du Chili derrière les insultes de Jaimiro : au quotidien, le Chili est un pays de riches et de pauvres, un pays où l'on risque l'extradition, où l'on meurt du choléra ou du sida. Un gamin de dix ans le sait trop bien. On sourit jaune. Et l'on comprend que sous ses faux airs de candeur Viejo Pascuero est une véritable gifle, un petit film méchant qui n'épargne personne. C'est au Père Noël qu'on écrit, mais les gestes d'insultes de ces gamins-là, agglutinés au dernier plan autour de la caméra, nous sont directement adressés. Le film ne dure que trois minutes, la gifle est d'autant plus vive.
Jacques Potet
Article paru dans Bref n°20, 1994.
Réalisation, scénario, photo, son et montage : Jean-Baptiste Huber. Musique : Thierry Lestien. Interprétation : Oscar Renault-Manriquez. Production : Same Films.