Cahier critique 30/01/2024

"Va dans les bois" de Lucie Prost

Dans le Haut-Jura, Maria, quinze ans, s’occupe des chiens de traîneaux de son père et regarde des clips d’ados qui font du skate à L.A. Un soir, elle suit en cachette Vincent – le mec qui pose des tavaillons sur la façade de sa maison – jusque dans la roulotte où il vit. Elle se retrouve alors embarquée dans un drôle de trafic...

Lucie Prost aime inscrire ses histoires et ses héroïnes dans des cadres naturels. La campagne et le vert dans Les rosiers grimpants, cosigné Julien Marsa en 2015. La montagne et le blanc dans Va dans les bois. Si l’adulte Rosalie revient dans son village natal dans le premier, l’ado Maria vit au domicile paternel dans le second. L’aînée fait le bilan d’un moment-charnière de vie quand la cadette est en plein apprentissage. Maria, jouée par Léonie Souchaud, observe, écoute, suit, découvre, au fur et à mesure des vingt-cinq minutes de l’aventure. Dégourdie déjà, car elle sait s’occuper des chiens de traîneau, les nourrir, les conduire, gérer les touristes, et prendre des initiatives. La mère est morte, il y a longtemps déjà, et Maria se débrouille en binôme avec son père. C’est donc un récit d’apprentissage dans lequel la protagoniste est aussi volontariste. Prête à suivre l’ouvrier en tavaillons par son paternel. Prête à braver l’interdit pour rejoindre un trafic illicite...

Le film privilégie les actes, et la caméra les accompagne. Maria agit sans cesse. Cuisiner, remplir, vider, soigner, faire les courses, conduire l’attelage. La réalisatrice raconte comment son personnage éprouve la vie pour mieux ressentir et se sentir vivante, justement, quand sa génitrice ne l’est plus. Ce qui ne l’empêche pas de profiter de moments de relâche et d’amusement, avec son copain Bilel ou avec ses nouveaux amis contrebandiers. Va dans les bois passe aussi de la chronique réaliste à la comédie, du récit initiatique à l’aventure, par petites touches et sans esbroufe. Lucie Prost embrasse son histoire tout comme les paysages alentours, car l’action se situe dans le Haut-Jura, tout près de la frontière suisse, en plein hiver. Un territoire impliqué dans l’écriture, et que la cinéaste, enfant du pays, inscrit fortement dans ses images, en convoquant les éléments naturels (le bois, la neige).

Le sens de l’humour et des dialogues fait mouche, quand le père offre à sa fille le choix de sa prochaine tâche : “Tu préfères quoi alors ? Les crottes ou les touristes ?”. Réponse : “Les crottes” ! La soirée arrosée séduit aussi par le ton et l’orchestration des échanges, passant de la goutte suisse au chamanisme, et à la dégustation de hamburgers maison. L’énergie irrigue les veines de la mini épopée de Maria, qui se termine en rigolade et boules de neige. Aucune complaisance ni aucun gras dans le traitement, et le drame est toujours masqué par la pudeur, qui entraîne souvent l’audace des personnages. Lucie Prost croit fermement dans le mouvement comme moteur de son art, et comme combustible existentiel. Et elle trouve en Léonie Souchaud une incarnation heureuse et amusée de la jeunesse. Son sens de la captation du réel et du romanesque naturaliste vibrera-t-il aussi au cœur de son premier long métrage, Fario, à sortir en 2024 ? À suivre...

Olivier Pélisson

France, 2021, 39 minutes.

Réalisation et réalisation : Lucie Prost. Image : Charlotte Michel. Montage : Lila Désiles. Son : Cédric Berger, Damien Boitel et Xavier Thieulin. Musique originale : Maxence Dussère. Interprétation : Léonie Souchaud, Nicolas Godart, Bilel Chegrani, Laurent Giroud et Pascquale D'Inca. Production : Folle Allure.