Cahier critique 26/03/2018

“Une visite” de Philippe Harel

Deux ans avant le succès des “Randonneurs”, Philippe Harel faisait déjà tourner Karin Viard.

En quoi les films de Philippe Harel nous laissent-ils perplexes après avoir reposé en notre mémoire ? En le fait simple que la question est posée de la frontière – du rapport – entre le cinéma et le quotidien.

Les quelques visites rendues au long métrage révèlent la fragilité de son travail. L’histoire du garçon qui voulait qu'on l'embrasse (1993) se heurte à la durée ; le cinéma y fait rapidement défaut et l'aiguille du sismographe ne réagit plus. Lorsqu'André Bazin parlait de réalisme, du “faire apparaître plus de réalité sur l'écran”, il ajoutait que “réalité ne doit naturellement pas être entendue quantitativement”. C'est là que Philippe Harel doit trouver un compromis. Un film de Chantal Akerman éprouve ce compromis. C'est le Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles (1975), où actrice (Delphine Seyrig), personnage et cinéaste font l'expérience du temps dans une lente contamination des corps par le drame. Contamination qui est la manifestation du quotidien dont le trait essentiel est d'échapper, d'être insaisissable.

Une visite (comme Deux pièces cuisine, 1989) réitère la question posée en ouverture de ce texte. D'abord quelques mots sur l'histoire : venus de province, des parents rendent visite à leur fille Caroline, installée à Paris. La tentation d'Harel d'attraper le quotidien, le confronte à l'anecdotique qui est la réduction du quotidien : la lampe des toilettes remplacée par le père, le répondeur téléphonique au message trivial, la rencontre de la concierge sont autant d'éléments qui découpent le quotidien, mais nous en éloignent. Car le quotidien n'est pas l'objectif. Il est l'incessant dans lequel nous sommes – d'où cette impossibilité qu'a le cinéma de filmer le quotidien, le cinéma étant lui-même pris dans le quotidien.

Voulant le quotidien, Harel ne filme que la privation du quotidien. De cet échec émane la réussite du film. Harel parvient à créer en ses personnages, une émotion retenue, à l'orée du corps, comme si elle ne pouvait pas jaillir, le temps et l'espace social ayant séparé les gens. Le sursaut d'âme final, les larmes de Caroline après le départ des parents, participent de ce sentiment que l'être-avec ne surgit qu'une fois les parents partis. En cette dernière séquence affleure l'idée que l'on ne peut partager avec l'autre, fût-il parent, son être, son exister. Les larmes sont peut-être alors, les derniers vestiges d'une communion impossible. Elles sont, pour en revenir au quotidien, un écart, une saillie qui, le temps d'un plan – quelques secondes – mettent le personnage en face du quotidien.

J’ai lu et entendu ici et là que Philippe Harel “filme banalement des choses banales”. C’est être bien prétentieux que de nier l’importance de la banalité.

Yann Goupil

Article paru dans Bref n°27, 1995.

Réalisation : Philippe Harel. Scénario : Christine Davenier et Philippe Harel. Image : Gilles Henry. Son : Laurent Poirier, Thierry Delor. Montage : Bénédicte Teiger. Musique : Philippe Eidel. Interprétation : Karin Viard, Jean Lescot et Marie-Claude Mestral. Production : Les Films du Trésor.