Cahier critique 12/07/2017

“Une robe d’été” de François Ozon

Du court au long, François Ozon a fait un beau parcours. Découvrez l’un de ses premiers films.

La culture ni sa destruction ne sont érotiques ; c’est la faille de l’une et de l’autre qui le devient.” (Roland Barthes, Le plaisir du texte)

François Ozon fait partie de ces cinéastes dont la carrière dans le court métrage présente une cohérence et une force indéniables. Qualités qui ne sont pas de trop pour faire accepter au spectateur l’univers dans lequel il le plonge dans chacun de ses films. Le personnage de Victor, qui assassine ses parents, ou celui de Paul (La petite mort) qui photographie son père nu en train de mourir sur son lit d’hôpital, n’ont en effet rien de bien séduisant. Rien de bien dérangeant non plus pour certains qui voient là plus un encanaillement esthétisant qu’une véritable mise en scène de la transgression.

C’est sans aucun doute oublier un peu vite que la déviance est une valeur éminemment relative et que sans une norme omniprésente, elle perd tout sens et toute saveur. C’est l’incessant va-et-vient entre le convenu et l’inconvenant qui dérange et provoque cette jouissance dont Barthes parle si bien. Et c’est cela qui se joue pour Luc, le jeune garçon d’Une robe dété, en vacances au bord de la mer avec son petit ami et qui rencontre une belle Espagnole peu farouche. La norme sexuelle que représente la jeune fille n’est ni suivie (Luc retourne dans les bras de son amant), ni détruite : non seulement il cède à la fille, mais c’est elle (et sa petite robe ?) qui réactive le désir au sein de la relation homosexuelle1.

La volonté de séduire éclate au grand jour dans Une robe d’été, qui abandonne la pénombre du labo photo de La petite mort pour le soleil estival d’une station balnéaire. La première séquence est explicite ; elle montre les exhibitions corporelles du compagnon de Luc, au rythme d’une chanson de Sheila. Le bel éphèbe blond platine se donne en spectacle devant son petit ami. Mais la mise en scène théâtrale fait du spectateur une autre victime potentielle de l’entreprise de séduction du jeune homme. Et si le charme opère, c’est avant tout parce que nous sommes en équilibre sur un fil, celui qui sépare l’émotion et la fascination de la sensiblerie et du ridicule. La conscience que tout peut basculer passe en premier lieu par le personnage de Luc agacé par les contorsions de son ami et qui finit par couper la musique et s’en aller.

Mais, de même que la jeune fille ne sert à aucun moment de repoussoir au couple homosexuel, les excès de notre beau blond et sa “musique de folle” ne sont pas mis en scène pour être ensuite mieux tournés en dérision. Le bonheur qu’a François Ozon à filmer une certaine impudeur des corps qui se dénudent, se travestissent et s’épanouissent est une évidence. À tel point qu’il provoque une certaine frustration lors de l’interruption de la scène de danse2. Et là se situe l’impertinence et l’énergie d’Une robe d’été : non pas simplement pointer du doigt des effets de séduction un peu faciles (et que certains qualifient de racoleurs...), mais s’y abandonner pour mieux appréhender la transgression. L’humour, la limpidité et la fraîcheur permettent ainsi la représentation d’une relation amoureuse “hors norme” sans qu’à aucun moment le film ne sombre dans un voyeurisme complaisant ou malsain. François Ozon a du talent. Il a plus encore : un sens de l’humanité qui consiste à ne jamais figer le monde, à ne pas enfermer ses personnages dans des images trop rigides. Cette neutralisation du cliché (aussi bien au sens propre que figuré) était déjà au cœur de La petite mort. Il s’affirme dans Une robe d’été, qui met en scène un individu jouant à cache-cache avec son identité et ses désirs. Cet espace de liberté et de vie, dans lequel la présence des acteurs est pour beaucoup, est aussi affaire de croyance : celle que le réalisateur réinjecte dans un cinéma souvent bien timoré et auquel il redonne des couleurs. Nous aurions bien tort de ne pas nous laisser séduire.

Claire Vassé

1. Ce schéma était déjà en germe dans Une rose entre nous, mais de manière beaucoup plus diffuse.

2. Ce qui est une manière de reposer, sur un mode plus ludique, la question qui est au cœur de ses autres films : que peut-on montrer et jusqu’à quel point y prend-on du plaisir ?

Article paru dans Bref n°30, 1996.

Réalisation et scénario : François Ozon. Image : Yorick Le Saux. Montage : Jeanne Moutard. Son : Benoît Hillebrant. Décors : Sandrine Cayron. Interprétation : Frédéric Mangenot, Lucia Sanchez et Sébastien Charles. Production : Fidélité Productions.