Cahier critique 13/02/2019

“Une leçon particulière” de Raphaël Chevènement

On ne badine pas avec l’amour !

Les histoires les plus touchantes sont souvent celles à côté desquelles on passe, par bêtise ou maladresse, comme si le remords possédait une force poétique inconnue de la plénitude de l’accomplissement. Les incorrigibles romantiques soutiendront alors que les plus grands bonheurs sont au fond ceux qui nous échappent, tout comme les plus beaux souvenirs ceux qui restent imaginaires, et c’est au cœur de cette défaite que réside le film de Raphaël Chevènement, dans cet instant furtif où le héros laisse la vie lui tourner le dos. 
Cette issue semble pourtant dès le début cousue de fil blanc : sous la férule d’une jolie étudiante en Lettres, un lycéen doit analyser un poème de Victor Hugo dans lequel une jeune fille tente de séduire son compagnon de promenade auquel elle n’ose pas avouer sa flamme. L’identification avec les personnages du film est alors plus qu’évidente, mais l’adolescent semble toutefois imperméable à la subtilité du jeu amoureux. La jeune femme lui fait donc la leçon, explique la pudeur des sentiments, la minauderie des jeunes filles, le frisson d’un bras nu, l’excitation du premier pas. L’élève tente discrètement d’en savoir plus. Comment être sûr qu’une jeune fille attend un signe, qu’elle sera réceptive à un geste amoureux ? Comment conjurer le risque face au désir ? L’explication de la jolie professeure glisse peu à peu de la littérature vers les leçons de l’expérience, mais cette fois-ci, c’est elle qui ne voit rien, en tout cas pas le regard apeuré et terriblement attentif de son élève, qu’elle abandonne paralysé par l’émotion sur le pas de la porte. 

C’est donc en silence que le film conclut cette histoire simple et innocente, qui serait presque dérisoire si, grâce à la légèreté de la mise en scène et au charme des comédiens, il évitait justement de s’appesantir pour se déguster telle une esquisse inaboutie, que l’on aurait jetée puis retrouvée, dévoilant toute la spontanéité d’un premier jet et la fraîcheur d’un trait hésitant. À ce titre, l’écriture de Cécile Ducrocq et Raphaël Chevènement se révèle en effet infiniment séduisante par le jeu certes traditionnel mais si subtil du non-dit, l’amoureux se retrouvant éconduit sans que l’aimée n’en sache rien. Une leçon de choses qui a l’élégance d’éviter la gravité car comme disait Rimbaud, “on n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans”... 

Arnauld Visinet 

Article paru dans Bref n°84, 2008.

Réalisation : Raphaël Chevènement. Scénario : Cécile Ducrocq, avec la collaboration de Raphaël Chevènement. Image : Marc Tévanian. Montage : Serge Turquier. Son : Jean-Claude Laureux et Olivier Goinard. Interprétation : Raphaël Goldman et Cécile Ducrocq. Production : Les Films du Requin.