Cahier critique 18/01/2022

“Une habitude de jeune homme” de Pascal Cervo

Cela aurait pu être une journée habituelle pour Virgile, mais non. D’abord victime d’une étrange agression, le jeune homme est ensuite contraint de partager la loge de Robert Lesmur, l’acteur principal de la pièce où il est figurant. Personnage inquiétant, Robert fait naître chez Virgile des sentiments qui vont bien vite le dépasser.

Dans Hugues, le précédent film de Pascal Cervo, le personnage titre était un comédien confirmé retranché dans son quartier pavillonnaire, qui ne voulait plus entendre parler de la scène, malgré les sollicitations, et qui voyait le calme de son jardin troublé par de joyeux exhibitionnistes. Une habitude de jeune homme, sélectionné au Festival du cinéma de Brive et au Festival Côté court de Pantin en 2020, semble en être l’envers. Le cinéaste, que l’on connaît comme acteur chez Laurent Achard ou Paul Vecchiali, donne un pli hivernal, parisien et collectif à son quatrième court métrage, où il suit Virgile, un apprenti comédien, le temps d’une journée, et fait la part belle au jeu, aux apparences et aux faux-semblants. Virgile aimerait être auteur, mais se trouve relégué dans l’antichambre de la vie, tout comme il patiente dans les coulisses avant de faire son apparition sur le plateau d’Antigone, lisant son journal et écoutant la scène en cours tout en même temps. 

C’est que les deux se mêlent sans cesse chez cet observateur obstiné : il écoute la conversation de ses voisins tout en écrivant les prémisses d’un scénario ou d’une pièce et parle au téléphone à sa mère en même temps qu’il épie une altercation au loin dans la rue. Se confondent aussi dans son univers le trivial et le tragique. Les mots de la pièce de Sophocle semblent imprégner sa vie même après qu’il a délaissé la toge pour sa tenue de ville et les éléments de la pièce forment un étrange miroir avec ce qui arrive dans sa vie. L’évocation d’une dispute ancienne avec son père fait écho à un conflit naissant avec une figure tutélaire symbolique, celle du premier rôle de la pièce, Robert Lesmur, dont il est contraint de partager la loge. Lorsqu’il y découvre une cagoule noire, Virgile voit une preuve que la star est à l’origine de l’étrange attaque à laquelle il a assisté l’après-midi en pleine rue. Il pourrait y déceler simplement l’indice que tous les comédiens qui l’entourent, une fois délestés de leur costume de scène, portent un masque social qui leur fait adresser des compliments acérés comme des couteaux. Tout le monde, à l’exception de Virgile, semble se rendre compte que l’essence des choses est tout autre que ce leur apparence, jusqu’à ce clafoutis, servi sous forme de tarte !  

Le jeune homme peine à interpréter les signes que lui adresse le réel, insensible à ces oracles. Il semble sourd à la mise en garde de son ami kiosquier qui conclut, suite à la lecture de son horoscope : “C’est l’ascendant qui l’emporte, jeune homme.” La nuit, il emprunte sans une hésitation une avenue pourtant hérissée de sens interdits, prompts à lui annoncer le passage à tabac qui l’attend derrière l’ombre. Mais les situations se renversent dans Une habitude de jeune homme et les premiers rôles passent à l’arrière-plan d’une scène à l’autre. On peut alors imaginer, au pas décidé du héros dans le dernier plan, qu’il met un point d’honneur à agir à l’inverse de la logique pour qu’enfin il lui arrive quelque chose ! 

Raphaëlle Pireyre 

France, 2019, 39 minutes.
­Réalisation et scénario : Pascal Cervo. Image : Martin Rit. Montage : Martial Salomon. Son : Rosalie Revoyre et Xavier Thieulin. Interprétation : Alexandre Prince, Pierre Baux, Michèle Moretti, Pierre Léon, Julia Faure et Bastien Ossart. Production : Barberousse Films.