Cahier critique 25/05/2021

“Une fille moderne”de Noé Debré

Un étudiant en école talmudique fait la rencontre d’une strip-teaseuse lors d’un enterrement de vie de garçon. Une intimité naît entre Nathan, qui ne peut ni voir, ni toucher le corps d’une femme, et Jenny, qui gagne sa vie en donnant son corps à voir et à toucher.

Si Le septième continent et On n’est pas des animaux, premier et troisième court métrage de Noé Debré, semblent participer de formes d’inspiration voisines, le deuxième, Une fille moderne, s’en écarte en partie. 

Certes, c’est un groupe de jeunes hommes qui se retrouve à nouveau en son centre, appartenant à la génération du scénariste et réalisateur (pour des personnages peut-être directement nés de proches ou d’amis, se plaît-on à penser), mais un élément féminin s’invite dans la narration, ce que flèche sans fard le titre même du film. Doublement, d’ailleurs, selon un schéma séculaire de représentation masculine, fusse-t-elle inconsciente, autour de la classique dichotomie de la maman et la putain. 

Étudiant dans une yeshiva, soit une école talmudique, Nathan accueille en Israël quatre copains pour le week-end d’enterrement de vie de garçon de l’un d’entre eux. Lorsque la petite bande débarque, Nathan vient de rencontrer une jeune fille de passage, issue de la “communauté” et bien sous tous rapports, bénéficiant surtout de l’assentiment d’une tante envahissante. Timide et discrète, la jeune femme apparaît aux tenants de la tradition comme une parfaite épouse potentielle, prétendue “moderne” et ne manifestant aucun signe ostentatoire de sensualité, dans sa très sage tenue (les différentes croyances se valent, se rejoignant dans cette obsession d’une “pureté” présumée). 

Or, en commençant cette nuit de fête en terre promise, Nathan est confronté à une image opposée de la femme, à travers la personne et surtout le corps, à la présence tangible et agressive pour lui, d’une strip-teaseuse. Celui qui n’a, de par son engagement spirituel, pas le droit de toucher, même du regard, la nudité de l’autre sexe voit ce principe inaltérable mis à l’épreuve par un concours de circonstances. 

Un grain de sable grippe l’engrenage de la soirée quand le futur marié, étudiant en médecine, constate que l’effeuilleuse professionnelle, Jenny, a une grosseur à un sein. Nathan doit donc jouer les traducteurs… Le brio de Noé Debré est de maîtriser impeccablement ce basculement de registre : la fête fait long feu, une inquiétude pointe et le spectre de la maladie, sinon de la mort, saute aux yeux des protagonistes. 

L’enjeu est intrinsèquement celui du regard, donc ontologiquement cinématographique. Le corps d’abord conquérant – et en un sens dominateur – de la fille dénudée devient vulnérable et la manière de le voir change, pour les cinq garçons comme pour le spectateur. 

En cela, le choix de mettre en scène un tel personnage, en pleine période de questionnements sur l’image de la femme au cinéma, tue dans l’œuf toute réserve. Quand Jenny, sidérée, reste dénudée au milieu du groupe, durant quelques secondes, c’est dans la tension d’un examen médical et il n’est plus affaire d’une quelconque convoitise. L'embarras s’estompe même peu à peu pour Nathan, le plus religieux du groupe  : il n’est plus que question d’aider un être humain en détresse, sinon en danger. La complicité inattendue qui naît entre Nathan et Jenny montre surtout la valeur de la seule vertu qui vaille  : l’humanité et la compassion partagées. Ce qui, quoique celles-ci puissent en dire, transcende toutes les religions.

Christophe Chauville 

France et Israël, 2019, 29 minutes
Réalisation et scénario : Noé Debré. Image : Boris Lévy. Montage : Géraldine Mangenot. Son : Olivier Pelletier, Claire Cahu et Olivier Dô Hûu. Interprétation : Élie Benchimol, Anastasia Fein, Agnès Hurstel, Colin Reingewirtz, Raphaël Hayoun, Idir Chender, Michael Zindel et Solal Bouloudnine. Production : Moonshaker Films et Bustan Films.