“Une chance unique” de Joël Curtz
C’est l’été. Les deux jeunes auto-stoppeuses que Lazare a prises semblent lui ouvrir le champ des possibles.
La chance unique évoquée par le titre, c’est celle qu’ont Charlotte (Alba Gaïa Bellugi) et Rosie (Zéa Duprez), deux jeunes auto-stoppeuses, de faire le reste de leur voyage avec les membres d’un groupe croisé sur une aire de repos et qui vont au même endroit qu’elles : un festival musical à Dour, en Belgique. À la fin du film, son protagoniste, Lazare (Lazare Gousseau), se retrouve donc seul. Lui qui se réjouissait de cette compagnie féminine imprévue, lui qui ne prend jamais personne en stop. Il avait même demandé par téléphone à sa sœur de l’accueillir en passant avec les donzelles. Pas de bol. Par petites touches, Joël Curtz construit ses personnages et son univers. Les dialogues, gestes, silences, pauses, révèlent les êtres. Lazare a sa propre entreprise : il vend des barrières. L’aventure alanguie du film est une parenthèse aérée dans son quotidien. C’est l’été et il fait chaud sur les plateaux des Hauts-de-France.
Artiste pluridisciplinaire passé par Le Fresnoy et expérimenté en documentaire, le réalisateur creuse l’étirement du temps. Une temporalité où personne n’est pressé. Après une entrée en mouvement sur les paysages qui défilent, les personnages s’accordent une pause en marge de la nationale, papotent, boivent un coup, prennent le soleil et font la sieste. La curiosité humaine se devine par les échanges, les questionnements, les regards, la proximité des corps qui coexistent pour quelques heures. Aucune démonstration de brio formaliste. C’est la simplicité qui prime, pour un cinéma qui fait confiance à ses cadres et à ce qui se passe devant la caméra. De la modestie ambiante naît une poésie discrète, tendre, amusée. Pas de jugement moral ni psychologique. Même quand le musicien David Boring, alias Estéban, du véritable groupe les Naive New Beaters, demande si celui qui prend la photo (Lazare) est toujours comme ça, rapport à sa lenteur.
La vision d’Une chance unique laisse dans un état flottant. Comme cette œuvre elle-même, à la croisée du road-movie, de la chronique naturaliste, du film de vacances. Entre douceur et mélancolie. Le scénario est tiré d’une nouvelle, issue d’un recueil, tous deux éponymes et signés de l’auteur Erwan Desplanques. Un matériau littéraire donc, quand on pourrait croire l’aventure tout droit sortie d’une fraîcheur de scénario et d’une improvisation collective. C’est donc tout l’art de Curtz de faire disparaître les coutures de son travail. Ne reste que l’essence de ces treize minutes de fiction discrète et sensible, à l’image du dernier plan, sur Lazare, qui regarde en silence et légèrement courbé, dans le vent et le soleil couchant, les deux filles partir hors champ.
Olivier Pélisson
Réalisation et scénario : Joël Curtz. Image : Pierre Choqueux. Montage : Souliman Schelfout. Son : Niels Barletta. Musique originale : Fantazio. Interprétation : Alba Gaïa Bellugi, Zéa Duprez, Lazare Gousseau et Estéban. Production : Wrong Films.