Cahier critique 17/07/2017

“Un transport en commun” de Dyana Gaye

Un film choral, une comédie musicale sous le soleil de Dakar. Bonus : entretien avec Baptiste Bouquin, le compositeur de la musique originale.

À l’orée du film, le titre, Un transport en commun, nous met déjà en mouvement. Un monde s’ouvre où le singulier se mêle au pluriel et l’ordinaire à l’extraordinaire.

Dakar s’éveille. Un lent panoramique découvre une gare routière au petit matin. Des centaines de voitures sont alignées. Des breaks pouvant accueillir sept passagers. Le son du trafic et la rumeur de l’activité montent peu à peu. Au milieu de cette animation, s’échappe un air napolitain célébrant le soleil. Tirant sur sa pipe et levant les yeux au ciel, un chauffeur de taxi-brousse s’imprègne de la musique avant l’arrivée des premiers passagers. Fredonnant une comptine en wolof, une jeune femme, Souki, se rend à la gare des Pompiers dans un car rapide, minibus dakarois qui porte l’inscription “Transport commun”. Une patronne en boubou bleu donne ses ordres au portable depuis un taxi qui arrive également au même endroit où désormais la vie palpite : des vendeurs ambulants sillonnent la gare routière, des rabatteurs orientent les voyageurs vers les véhicules en fonction de leur destination.

Dyana Gaye, tisse patiemment le chœur que chaque personnage viendra habiter avec sa trajectoire intime. Sept passagers et un chauffeur. Le film nous a déjà embarqués avant même le départ du taxi-brousse vers Saint-Louis. Nous attendons nous aussi le septième passager, impatients de partir et de découvrir ce qui naîtra dans l’habitacle confiné de la 505 break de Médoune Sall, le chauffeur épris d’O Sole Mio

C’est à ce moment-là que la réalisatrice nous surprend et nous ravit : des notes de musique s’élèvent, la caméra suit Souki (la très juste et touchante Anne Jeanine Barboza) qui se met à chanter pendant qu’autour d’elle chauffeur, passagers et rabatteurs dansent puis chantent à leur tour. Un autre voyage commence qui nous fera parcourir de nombreux mondes musicaux : des comédies musicales de Demy à celles d’Hollywood, du twist au rock, du blues au sabakh (musique traditionnelle sénégalaise), en passant par le jazz et Debussy. Chaque musique correspondra aux destins et aux émotions des personnages. Chaque chanson nous révèlera un peu plus du souffle et du désir qui animent chacun des passagers. 

Transport amoureux pour Malik qui rejoint sa fiancée avant de voir du pays comme le dit sa chanson, fantasmant un exil doré en Italie, laissant perplexe Souki qui répète en répons “C’est ce qu’on verra” comme un écho au motif du premier film de Dyana Gaye, Une femme pour Souleymane. Transport de colère pour Médoune Sall, le chauffeur, qui, monté sur le capot de son véhicule, au milieu des embouteillages, chante son mal de vivre dans un Sénégal moribond. Transport de deuil et de libération pour Souki qui va inhumer un père qu’elle n’a pas connu. Ainsi vont s’égrener les destinées d’individus rassemblés pour l’occasion d’un voyage entre Dakar et Saint-Louis. Un chœur dépareillé, chantant les hasards et les choix, les peines et les joies, la vie et son énigme, loin d’une harmonie fade et doucereuse.

Quand le cinéma parvient à toucher cela, il est lui-même un véritable transport en commun.

Yann Goupil

Réalisation : Dyana Gaye. Scénario : Dyana Gaye, en collaboration avec Louise Thermes. Image : Irina Lubtchansky. Montage : Gwen Mallauran. Son : Dimitri Haulet, Romain Le Bras et Ludovic Escallier. Musique originale : Baptiste Bouquin. Chansons originales : Dyana Gaye et Alexa Gutowski. Chorégraphies : Naïma Gaye. Interprétation : Umban Gomez de Kset, Anne Jeanine Barboza, Bigué N’Doye, Antoine Diandy, Naïma Gaye, Marième Diop, Adja Fall, Gaspard Manesse, Bakary « Vieux » Cissé, Yakhoub Ba, Abdoulaye Diakhaté et Mbègne Kassé. Productions : Andolfi / Nataal.