Cahier critique 22/11/2022

“Un obus partout” de Zaven Najjar

Beyrouth, 1982. Pour voir sa fiancée, Gabriel doit traverser un pont gardé par des francs-tireurs. Ce soir, c’est l’ouverture de la Coupe du monde et toute la ville attend ce match ! Les francs-tireurs céderont-ils à la fièvre du football, laissant passer la vieille Plymouth de Gabriel et son ami Mokhtar ?

Beyrouth, une ville sous les bombes, dans un pays en pleine guerre civile depuis 1975. C’est là que se déroule Un obus partout, film d’animation de Zaven Najjar, à une date bien précise : 1982, sommet de tension du conflit meurtrier, où la ville est coupée en deux, séparée par un pont crucial, le “Ring”, qui traverse le cœur de la capitale du Liban. Les premières minutes sont à la fois éloquentes et symboliques de la situation, avec cette Mercedes blanche lancée à vive allure, mitraillée d’impacts noirs par des francs-tireurs tenaces, qui feront exploser le véhicule. On se croirait dans un film d’action, le montage est nerveux, la bande-son mêlant l’accélération du moteur de la voiture et les tirs nourris, avant que la déflagration et le rouge de la terreur n’envahissent l’écran. Place à un spectaculaire travelling arrière découvrant la ville tentant de vivre au quotidien sans cacher ses blessures. 1982, c’est aussi l’année de la douzième édition de la Coupe du monde de football, organisée en Espagne et qui verra la victoire de l’Italie en finale. Mais ce soir de juin 1982, l’équipe d’Argentine et son leader, Maradona, sont sur le terrain, opposés à la Belgique, et aimantent tous les regards pour l’ouverture de ce tournoi à l’enjeu majeur, étant la tenante du titre de champion du monde. 

Le film de Zaven Najjar, adapté de récits issus de L’école de la guerre, roman autobiographique d’Alexandre Najjar, va alors ancrer une histoire intime dans cette douleur nationale d’un pays en guerre en partant du contexte sportif. Un obus partout devient donc l’histoire de Gabriel, un jeune Libanais d’une vingtaine d’années qui veut juste traverser ce pont gardé par des francs-tireurs pour voir sa fiancée, dans l’autre partie de Beyrouth. Dense, concis, le film trouve véritablement sa force dans cette confrontation vive, rythmée et sans concessions, de héros du quotidien face à cette guerre qui les dépasse et les menace à tout moment. Graphiste, illustrateur, directeur artistique, Zaven Najjar est très demandé, ce qui explique peut-être pourquoi Un obus partout reste son seul court métrage fictionnel d’animation alors même qu’il remporta en 2015 un succès international dans les festivals. 

Son style aussi abstrait que figuratif, marqué par de grands aplats de couleurs vives, traversés de contrastes, est aujourd’hui très reconnaissable sur des affiches ou des génériques. Dans Un obus partout, on se souvient aussi de ces personnages noirs (Gabriel et son entourage) ou blancs (les joueurs de foot), comme des silhouettes découpées, des ombres chinoises que l’on rebaptiserait libanaises, de la musique joyeuse et mélancolique de Marc Codsi et Zeid Hamdan ou du sound design ciselé de Fabrice Gerardi. 

Bernard Payen 

France, 2015, 9 minutes.­
Réalisation
: Zaven Najjar. Scénario : Camille Lugan et Zaven Najjar. Montage : Grégoire Sivan. Son : Fabrice Gerardi, Loïc Moniotte et Stéphane Bonduel. Musique originale : Marc Codsi et Zeid Hamdan. Interprétation : Arthur Dupont, Thomas Blumenthal, Sabine Zovighian et Jean-Michel Fête. Production : Caïmans Productions.