Cahier critique 02/07/2018

"Un monde sans femmes" de Guillaume Brac

C’est l’été, les vacances, les crustacés, et les amours perdues.

Après Le naufragé (Bref n° 95), son premier court métrage, Guillaume Brac revient tourner en bord de mer, toujours accompagné de son personnage et comédien fétiche Sylvain (Vincent Macaigne). Celui-ci a gardé sa chemise de trappeur à carreaux – qui cache à peine son tee-shirt noir estampillé d’un chef indien aux couleurs criardes – et nous accueille dans cette nouvelle aventure par un timide “Bienvenue à bord !” alors qu’il ne parvient pas à ouvrir la porte de l’appartement aux deux vacancières – Patricia la brune et Juliette la blonde – qui louent son studio.

Le réalisateur semble avoir trouvé son Antoine Doinel en la personne de Sylvain, l’interprète de l’un étant considéré comme l’enfant terrible de la Nouvelle Vague, le second comme un agitateur théâtral contemporain prompt à déclencher les polémiques1. Brac peaufine ce personnage attachant en assumant la filiation directe avec son film précédent ; Vincent vit toujours dans son appartement de bourg et circule avec une improbable voiture bleue et aux portières électriques (qu’il manipule encore avec beaucoup d’hésitations).

L’expérience scénaristique du Naufragé rejaillit pleinement dès l’entame d’Un monde sans femmes où Vincent se trouve au cœur d’une tourmente amoureuse et n’en est plus seulement le témoin compatissant. Son statut évolue pourtant de victime passive en attente de bribes d’amitié à victime active en recherche d’amour. Dans les deux cas, il est manipulé et en partie perdant. Il rappelle dans une certaine mesure la figure de Gilbert (Bernard Ménez), “torturé” par trois filles dans Du côté d’Orouët de Jacques Rozier. Avec son cinéma simple, instinctif et sans effets, Brac s’inspire de son aîné et parvient à nous faire ressentir l’extrême fragilité provoquée par la solitude de son personnage, son entêtement à se confronter au danger que représentent les femmes à ses yeux. Il sait, en une séquence et par quelques gestes économes, placer Sylvain dans un intense moment de solitude lorsque celui-ci comprend que Patricia ne joindra jamais l’acte du jour à la parole d’hier (“Hé ! Tu as de beaux yeux”) et qu’elle retire sa main de la sienne après un très long silence de gêne mutuelle.

Le réalisateur joue aussi de cette ambiguïté dans l’esquisse de ses personnages. Au début du film, difficile de déterminer si Patricia et Juliette sont amies, sœurs ou mère et fille. Et Sylvain et Gilles, le gendarme, sont-ils réellement amis ? Cela lui permet une écriture qui évite la caricature, de tisser un marivaudage aux multiples influences mais qui sait réserver des surprises quant à la vraie personnalité des protagonistes, à leurs actions et réactions.

En progressant, le film gagne en gravité, ces (non) amourettes de vacances n’étant pas du fait d’adolescents débutants, mais d’adultes qui éprouvent la morsure de la solitude, qui ont conscience du temps qui passe et de celui qui reste, qui ne savent plus comment faire, alors que tout paraissait si simple au temps de Marie, amie de Sylvain, mais de la génération de sa grand-mère, qui, à l’époque, rencontra et séduisit son mari sans efforts particuliers.

Brac place cette génération sentimentalement paumée sous les feux croisés de celle de Marie, l’ancienne, et de celle de Juliette, la nouvelle, qui assiste, critique, aux errements senti-mentalo-sexuels de sa mère, son désaccord et son hypersensibilité dissimulés sous un masque faussement hautain. En la tenant à la périphérie de l’action les deux premiers tiers du film, le réalisateur s’assure au final une belle et émouvante sortie grâce à cette adolescente déjà femme. Il pourrait aisément demander à Sylvain de lui passer le flambeau de prochaines aventures, tant ce nouveau personnage semble lui aussi porteur de failles prêtes à être mises en lumière.

Fabrice Marquat

1. Vincent Macaigne est également metteur en scène, notamment de Requiem et de l’adaptation de L’idiot de Dostoïevski. Son théâtre est fait de violence verbale et physique, et divise la critique et le public.

Article paru dans Bref n° 99, 2011.

Réalisation et scénario : Guillaume Brac. Image et musique : Tom Harari. Montage : Damien Maestraggi. Son : Emmanuel Bonnat et Vincent Verdoux. Interprétation : Vincent Macaigne, Constance Rousseau, Laure Calamy et Laurent Papot. Production : Année Zéro.

 

Entretien avec Guillaume Brac, réalisateur d'"Un monde sans femmes", Les Lutins du court métrage 2012