Cahier critique 27/02/2019

“Un lever de rideau” de François Ozon

Louis Garrel, Vahina Giocante et Mathieu Amalric, entre vaudeville et tragédie.

L'incompris est une pièce d'un seul acte écrite par Henry de Montherlant en 1943 et pensée comme un pendant, “qui tirerait sur la caricature”, à Fils de personne, dont elle fut le lever de rideau – joué une seule fois seulement à sa sortie puisque, en pleine guerre, un arrêté imposa la fermeture des théâtres à vingt-deux heures. La pièce est qualifiée de comédie, mais difficile de dire de même pour l'adaptation qu'en fit François Ozon, qui tire non seulement sur la caricature, mais sur le drame. Comme le dit un des personnages, “ce sont les critiques qui aiment les genres tranchés, qui écriraient « l'auteur a hésité entre tel genre et tel genre », alors que c'est la vie qui hésite sans cesse entre tel genre et tel genre.” Dans Un lever de rideau, Ozon semble avoir pris cela au mot, en insistant sur le malaise vague provoqué par cette indétermination, au sein même de chaque scène, de chaque dialogue, entre comédie et drame, absurdité et morale, intelligence et bêtise.

L'incompris, c'est le personnage qu'interprète Louis Garrel, Bruno. Il attend avec son ami  Pierre (Mathieu Amalric), l'arbitre dans cette dispute amoureuse, l'arrivée de Rosette (Vahina Giocante), sa bien-aimée, qui comme à l'accoutumée est en retard, et, quand le film commence, d'une demi-heure déjà. C'est grave, car, Bruno l'a avertie : si elle dépasse encore une seule fois de plus de quarante-cinq minutes l'heure de leur rendez-vous, c'est la séparation. Durant cette attente, tout de même insupportable, car il aime Rosette, Bruno explique à son ami les raisons qui le contraindraient à la rupture : qu'est-ce que l'amour, si c'est ainsi ne plus considérer l'autre, lui imposer son rythme, ses règles, pour le priver alors de sa liberté et vivre au-delà des lois morales qui lient les êtres humains entre eux ? Mettre cet idéal de justice et de rigueur au-dessus de l'amour, c'est faire preuve d'héroïsme, agir comme personne ne le ferait. En théorie pourquoi pas, mais, la caricature commence, l'origine de cette indignation est minime, ridicule, et Bruno, au lieu d'être héros, n'est que sot. Louis Garrel incarne bien cette ambiguïté à travers ce personnage mi-princier, mi-monstrueux, qui ne laisse tomber le masque qu'à la fin à travers ses pleurs, sortant par là le film du malaise qu'il pouvait provoquer.

Mais au-delà de cette histoire, c'est filmer le théâtre qui semble intéresser le réalisateur. Ozon met en avant cet art, ne cherchant jamais à le faire oublier. Au contraire, il conserve toute la tonalité de sa langue, aux dialogues mordants et spirituels, laisse la durée prendre sa place – cette durée qu'on aime plus que Bruno – filme souvent ses acteurs entre les pans d'une porte, d'un rideau... comme encadrés par une scène. Et c'est d'oser cela, oser ce théâtre au cinéma, qui rend le film si captivant et à part dans la filmographie d'Ozon. 

Léocadie Handke

Réalisation et scénario : François Ozon, d’après la pièce de théâtre d'Henry de Montherlant Un incompris. Image : Yorick Le Saux. Montage : Muriel Breton. Son : Laurent Benaim, Stéphane Vizet, Benoit Gargonne et Jean-Pierre Laforce. Interprétation : Louis Garrel, Vahina Giocante et Mathieu Amalric. Production : FOZ.