Cahier critique 10/10/2018

"U.H.T." de Guillaume Senez

Debout, les damnés de la terre !

En 1984, l’Union européenne mettait en place des quotas laitiers afin de diminuer les excédents de production. En 2015, ceux-ci furent abrogés pour répondre à la demande mondiale grandissante. Mais celle-ci avait été surévaluée – ou pas évaluée du tout – et une grave crise de la filière laitière s’en est suivie. La surproduction a été sans précédent et les exploitations agricoles ont dû faire face à de fortes incertitudes quant au prix du lait, toujours changeant et toujours à la baisse. 

Cette petite révision d’ordre économique n’est pas inopportune pour aborder le troisième et dernier court métrage en date de Guillaume Senez, dont le deuxième long, Nos batailles, vient de sortir en salles. Dans U.H.T., abréviation désignant l’“Upérisation Haute Température”, soit la méthode de stérilisation du lait, le réalisateur montre, en effet, en 2012 déjà, les difficultés d’un agriculteur travaillant seul sur son exploitation et vivant avec sa femme et leur bébé. Confronté directement au problème de la surproduction, il est chaque jour contraint de jeter le lait de ses vaches, devenu invendable, donc inutile. 

Concernant la question agricole, on pourrait reprocher au film de demeurer dans une dimension assez vague, comme si les problèmes subis par les agriculteurs étaient de toute façon tous semblables, sans davantage d’explication. Et les dialogues improvisés pourraient sans doute être un peu plus canalisés. Mais Guillaume Senez choisit en réalité de demeurer avant tout attentif aux conséquences de ces difficultés professionnelles et financières sur la vie du couple et de la famille – un point de vue que l’on peut retrouver dans Nos batailles. Le film possède un côté brut, pris sur le vif – la caméra est d’ailleurs toujours à l’épaule – qui permet de saisir un certain état de tension du quotidien, accentué par le mutisme de cet agriculteur qui, par fierté, ne dit rien à son épouse de l'état de leur exploitation. 

Heureusement, cette tension trouve une respiration dans la dernière scène à la teneur épique et théâtrale, où la gestualité exprime soudain beaucoup plus que les mots. La femme est finalement mise au courant de la situation et, dans un renversement surprenant, plutôt que de s’éloigner, partage la colère désemparée de son mari. U.H.T. s’ouvre alors vers un avenir dur, peut-être sans espoir, mais un avenir au moins solidaire et partagé.

Léocadie Handke

Réalisation : Guillaume Senez. Scénario : Grégory Lecocq et Guillaume Senez. Image : Elin Kirschfink. Montage : Julie Brenta. Son : Antoine Corbin, Vincent Verdoux et Julien Roig. Interprétation : Catherine Salée et Cédric Vieira. Production : Iota Production, Les Films Velvet et Ultime Razzia Productions.