"Tout péter" de Noëlle Bastin et Baptiste Bogaert
Dans un climat insurrectionnel, quatre amies de vingt ans parlent politique. Alors qu’une grande manif s’annonce, l’une d’elles, Clara, doit remettre un travail universitaire. Prise dans les images virtuelles et le confort de sa chambre, sortir s’avère plus dur que prévu.
Sur les murs de la chambre d’étudiante de Clara sont punaisées des images. On les distingue mal, mais on imagine que s’y mêlent des photos de souvenirs qu’elle chérit et des tableaux ou photos d’artistes qu’elle aime. La forme quasi muséale avec laquelle sont réparties ces cartes évoque les montages d’images disparates que constituait l’historien de l’art Aby Warburg sur de grandes planches nommées mnémosyne. Il y faisait voisiner des figures qui ne se rejoignaient que par l’association de son esprit, par exemple une statue grecque dont la posture lui rappelait une golfeuse photographiée pour un magazine de son époque. Tout péter fonctionne ainsi, par ricochets de la pensée de ses auteurs, Noëlle Bastin et Baptiste Bogaert, qui construisent à quatre mains une œuvre à cheval entre la salle de cinéma et le musée.
Leur cinquième court métrage, présenté au FIFIB à l’automne 2022, fait feu de tout bois, utilisant pour moteur du portrait de l’époque tant des tutos internet pour se débarrasser d’une tache de sang qu’une réflexion universitaire sur À rebours, le roman de l’écrivain symboliste Huysmans sur lequel Clara doit rendre un devoir universitaire qu’elle procrastine à rédiger. Comme le antihéros Jean Des Esseintes atteint du mal du siècle, la jeune fille peine à quitter le confort douillet de ses quatre murs pour aller manifester. Pourtant, sa conviction politique l’enjoint à le faire. D’autant qu’elle a pour cela suivi un entraînement sportif cardio idoine et étudié les routines mode et beauté pour battre le pavé en clamant ses revendications en ne laissant les gaz lacrymogènes n’endommager ni ses yeux, ni la beauté de ses cheveux. Avec ses trois copines, elles opèrent une remise en question constante du monde dans lequel elles vivent et de ses valeurs. Qui est l’ennemi ? Les riches qui détiennent les capitaux de production ? La police qui détient la force ? Le pouvoir politique qui favorise l’un et l’autre en divisant les pauvres ? Et surtout, que faire, individuellement, pour agir collectivement ? L’écrivain John Dos Passos découpait la presse pour concevoir des récits hybrides et foisonnants dans lesquels la fiction se nourrissait d’anecdotes réelles. Tout péter procède de ce mélange permanent et en prenant la forme d’un moteur de recherche bien plus que d’un récit linéaire, offre au spectateur un guide de survie en milieu hostile et désabusé.
Raphaëlle Pireyre
France, 2021, 30 minutes.
Réalisation, scénario et montage : Noëlle Bastin et Baptiste Bogaert. Image : Adrien Heylen. Son : Maxime Berland, Jean-Barthélémy Velay et Théo Jégat. Musique originale : Heinous. Interprétation : Noé Riché-Simon, Manon Dupeyrat, Chiara L'Houmeau-Caporiccio et Paula Kvasnikoff. Production : Post-Genre Productions et Les Films du Rat.