“Tous à table” d’Ursula Meier
Un dîner d’anniversaire qui dégénère donne un goût amer à ce court très remarqué en son temps.
Le parcours d’Ursula Meier présente, parmi toutes ses singularités, de fréquents retours vers le court entre deux longs métrages – avec succès, d’ailleurs. Il s’est également construit, avant même Home (2008), sur plusieurs œuvres fondatrices, dont Tous à table que l’on peut sans l’ombre d’un doute inscrire au rang des classiques européens de la production courte de ce début de siècle.
Le film aura ainsi reçu en 2001 les Prix de la presse, du public et de la recherche au Festival de Clermont-Ferrand, le Pardino d’argent et le Prix du jury jeune à Locarno, le Prix du public à Bruxelles. Précisons que le tournage et le montage du film avaient été séparés de plusieurs années et qu’il avait été entrepris en exact contrepoint du précédent de la jeune réalisatrice, son impressionnant Songe d’Isaac, travail de fin d’études formel et épuré.
Avec Tous à table, il était question, à l’inverse, de multiplier les personnages – douze amis autour d’une table, fêtant l’anniversaire d’un des leurs – et de faire passer de l’un à l’autre le point de vue, en quittant volontairement toute position de maîtrise pour mieux jouer avec un recours possible à l’improvisation, médiatisée par une caméra à l’épaule se mouvant au milieu d’une avalanche de dialogues, de cris, de pleurs, de confusion souvent. Le choix d’utilisation du 35 mm avait pour corollaire celui d’un noir et blanc à grain marqué, ce qui donna un style affirmé à l’expérience, dont la narration relève un défi peu banal, lié à la résolution d’une devinette lancée à la cantonade, quand un repas arrosé dérive vers le passage obligé des blagues et anecdotes.
L’énigme alors proposée aux convives – et aux spectateurs – sert évidemment de prétexte : son absurdité engendre un mystère impossible à percer et les nerfs sont peu à peu mis à rude épreuve. Les secrets s’éventent et les comptes se règlent de façon cinglante, dans une atmosphère dorénavant plombée. Devant un tel jeu de massacre, la nature du lien amical ou amoureux se voit sévèrement relativisée. On pense fugacement à Festen, sur une autre tonalité, sachant qu’Ursula Meier ne s’en est aucunement inspirée, son film ayant été mis en boîte bien avant celui de Thomas Vinterberg, qui avait secoué la Croisette en 1998.
La conclusion du film, qui confie la solution de la fameuse devinette à une séquence animée par Vincent Patar et Stéphane Aubier, alors pas encore lancés dans l’aventure de Panique au village, apporte une note d’espièglerie plus légère, mais sans se départir du goût de l’absurde d’une artiste assez imprévisible et excellant à explorer la notion de borderline, de la limite au sens large.
Christophe Chauville
Réalisation et scénario : Ursula Meier. Image : Tommaso Fiorilli. Animation : Stéphane Aubier et Vincent Patar. Montage : Julie Brenta. Son : Philippe Vandendriessche, Marc Bastien et Franco Piscopo. Décors : Suzanne Giovanni et Cleïla Colao. Interprétation : Stéphane Auberghen, Philip Busby, Anne Carpriau, Laurence Vielle, Joëlle Waterkeyn, Circée Lethem, Bernard Breuse, Sabrina Leurquin, Magali Pinglaut, Georges Saint-Yves, Bernard Sens et Jean Vercheval. Production : Need Productions.