Cahier critique 29/04/2020

“Tigres à la queue leu leu” de Benoît Chieux

Un hymne extrême-oriental à l’imagination.

À l’origine, il y a un conte traditionnel d’Extrême-Orient, venu plus précisément de Corée. Un album illustré par Kwoon Moon-Hee en a été tiré (paru en 2008 en France, aux éditions Quiquandquoi) et c’est lui qui a inspiré Benoît Chieux, collaborateur régulier de Folimage sur de nombreuses productions, courtes ou longues.

Le réalisateur a repris à son compte un graphisme d’une qualité exceptionnelle, mêlant ligne claire et coloration en aquarelle jouant sur toute une palette d’ocres, de marrons, d’oranges et de jaunes, afin de donner vie à une histoire pleine de saveur(s), tendre et drôle. Son jeune héros, attachant au-delà de sa légère tendance à la paresse, se montre contre toute attente fort ingénieux et l’ironie du ton s’affirme d’emblée, alors que le garçon surprend en prenant l’initiative : une voix off prétendait qu’il ne faisait rien de ses journées ? Il la dément dès qu’on lui confie une houe pour se mettre à la tâche… Sa mère en est la première médusée, elle dont on a pu voir en très gros plan le visage ravagé par la fureur devant ce bon-à-rien de rejeton… Mais ce dernier passe sans difficulté de la position horizontale, synonyme d’une flemme incurable, à une autre, bien verticale, en train de travailler la terre.

Toute la malice de la narration de cet hymne à l’imagination réside dans sa facilité à développer des rebondissements successifs pour en arriver à ce que le titre promet, tandis que le postulat de l’histoire ne voit pas le moindre tigre se pointer à l’horizon… Les séquences s’emboîtent comme des poupées gigognes, le labeur du fainéant repenti générant une production inouïe d’huile de sésame, ce qui, certes, n’a toujours aucun rapport avec quelque fauve que ce soit – c’est même un petit chien amaigri qui fait son apparition !

L’originalité majeure du film, c’est sans doute que chaque trouvaille trouve sa justification après coup, cultivant un certain mystère dans une intention volontairement irrévérencieuse, sinon gentiment mal élevée – avec même une dose de scatophilie, jusqu’à l’ultime plan du film ? L’histoire se déroule ainsi sans aucune baisse de régime, selon un montage des plus dynamiques, auquel se conjugue une partition originale aux résonances orientalisantes signée Christophe Héral, dont le nom est bien connu des amateurs de cinéma d’animation.

Tout cela mérite bien une petite danse, esquissée par notre héros et sa mère en fichu, en un plan les isolant dans le champ, comme suspendus et effectuant côte à côte de joyeux mouvements en “regard caméra”, à la manière de certaines comédies musicales hollywoodiennes, telles Chantons sous la pluie ou Tous en scène. Leur enthousiasme s’explique aisément : ils ont trouvé le moyen de ne plus travailler, nous dit-on, ayant pu sans doute chèrement vendre tous ces tigres capturés et dont la file “à la queue leu leu” couvre plusieurs collines, en une féline Muraille de Chine.

Christophe Chauville

Réalisation et scénario : Benoît Chieux. Animation : Benoît Chieux, Titouan Bordeau et
Rémy Schaepman. Montage : Jean Bouthors. Son : Christophe Héral et Yoann Veyrat.
Musique originale : Christophe Héral. Production : Les Films de l’Arlequin.