Cahier critique 01/12/2016

"The Reflection of Power" de Mihai Grecu

La Corée du Nord telle qu’on ne l’a jamais vue, pour une hypnotique aventure visuelle montrée partout dans le monde, sauf là-bas !

L'esthétique totalitaire de propagande est un repoussoir, mais aussi un ambigu objet de fascination ; elle est aussi – à l'image du titre programmatique – le reflet d'un pouvoir qui, en s'appuyant sur une puissance cinégénique, s'affiche comme absolu. Cette esthétique se présente à la manière d'une imposante auto-représentation à l'échelle d'un pays – qui, déjà en Corée du Nord, fut “captée” par Marie Voignier dans Tourisme international.

Mihai Grecu part lui aussi de cette auto-mise en scène ; dans un stade de la capitale Pyongyang, de sidérantes mosaïques humaines s'animent pour composer des tableaux vivants à la gloire du régime. L'alternance entre zooms avant et arrière noie l'individualité des figurants dans une masse indistincte. Cette mise en scène est alors inquiétée par un brutal raccord qui déplace le film dans le réel médiocre et dépressif d'une rue où le spectacle est retransmis sur un écran géant. Ce raccord n'est que le premier jalon d'une reprise en main par Mihai Grecu de ce réel fantasmé par la dynastie des Kim. Cette “nouvelle” réalité nord-coréenne est désertée par la figure humaine, les délirants édifices balayés par un vent lugubre – ce vent et cet aspect désertique des rues étant l'une des observations rapportées par les rares visiteurs qui s'aventurent en Corée du Nord.

Et bientôt ces vanités sont noyées sous un déluge ; par le truchement d'une hybridation entre prises de vues réelles et composition 3D, on a basculé en quelques plans d'un réalisme “socialiste” à une science-fiction post-apocalyptique. Une représentation cinématographique se substitue à la mise en scène totalitaire, tout aussi fausse, mais pas moins. La grandeur du régime appartient désormais au passé ; la musique martiale refait son apparition sous la forme d'un souvenir, des enfants s'animent dans une gestuelle à laquelle on prête la mélancolie des spectres.

Arnaud Hée

Article paru dans Bref n°118, 2016.

Réalisation et scénario : Mihai Grecu. Image : Mu Jin. Composition et animation 3D : Mihai Grecu et Manea “Dexter” Alexandru. Son : Yann Leguay, Simon Apostolou et Mihai Grecu. Montage : Clémence Diard, Momoko Seto et Mihai Grecu. Production : Bathysphère Productions.