“The Manila Lover” de Johanna Pyykkö
Lors d’un voyage aux Philippines, Lars, un Norvégien quinquagénaire, rencontre Abigail, une Philippine avec qui il souhaite partager sa vie. Mais a-t-elle le même plan en tête ?
Sélectionné à la Semaine de la critique en 2019, The Manila Lover est un conte cruel et sensible qui raconte la désillusion d’un quinquagénaire norvégien croyant avoir trouvé l’amour lors d’un voyage aux Philippines, en la personne de la très charmante Abigail.
La réalisatrice Johanna Pyykkö dessine en quelques plans seulement la complicité qui unit les deux amants, ainsi que la sensualité de leur relation. Immédiatement, le personnage féminin va à l’encontre des clichés en exprimant ses désirs tandis que le protagoniste masculin, Lars, suit un schéma plus classique, entre bonhommie joviale et romantisme pudique.
Tout se noue pour eux lorsqu’il propose à la jeune femme de venir s’installer chez lui en Norvège, lui faisant miroiter un avenir (peu prometteur) de femme de ménage. D’abord réunis dans le cadre, baignés par les teintes chaudes d’une semi-obscurité, ils se retrouvent isolés chacun dans leur plan. On lit le désarroi sur le visage d’Abigail, qui ne s’attendait pas à cette proposition.
Johanna Pyykkö renverse ainsi les attendus de départ pour déconstruire les préjugés ordinaires et explorer ce qui se passe lorsque les rapports de domination sont inversés. Pour Lars, le refus d’Abigail de partager sa vie claque comme un rejet en bloc de toute sa personne. Son existence semble déraper, tout échappe à son contrôle, et c’est comme si le monde se brisait sous ses yeux. Sensation renforcée par le symbole (un peu forcé) du vase précieux qu’il casse accidentellement en tentant de retenir la jeune femme. Dès lors, le film lui fait boire la coupe jusqu’à la lie, l’observant en train de se débattre dans cette nouvelle réalité qu’il était jusque-là incapable d’imaginer. Il découvre sa maîtresse sous un autre jour, explore l’appartement de fonction où elle l’abrite comme s’il était entré dans une dimension parallèle insoupçonnée, et tente maladroitement de reconquérir un peu de sa virilité blessée.
Toute la complexité du film est alors de trouver la bonne distance entre l’évidente empathie que l’on éprouve pour le personnage, qui est loin d’être un mauvais bougre, et la critique sous-jacente qu’en fait la réalisatrice, en le montrant incapable de s’adapter à la nouvelle donne. Il devient en effet amer, reprochant soudainement à la jeune femme sa licence sexuelle, et expose bruyamment sa déception. Il ne veut plus d’une relation qui ne fonctionne pas selon les termes que lui-même a fixés. À son tour donc de refuser le rôle qui lui avait été attribué – c’est de bonne guerre – et de ruiner les plans de son amante. Se sentant ridicule, il a besoin de l’exprimer à la face du monde pour extérioriser une tristesse qui n’est pas feinte. Pathétique, oui, mais si humain dans sa détresse, qu’il ne peut en être que terriblement attachant.
En filigrane, ce court métrage cristallise un enjeu majeur des relations hommes-femmes : la nécessité de fixer ensemble les règles du jeu, sans qu’aucun n’empiète sur les désirs de l’autre. En faisant passer le préjudice de Lars à Abigail, chacun enfermant à son tour son partenaire dans un rôle prédéterminé, Johanna Pyykkö complexifie son récit et démontre l’infinité de nuances nécessaires pour penser toute relation amoureuse en dehors des carcans traditionnels.
Marie-Pauline Mollaret
Norvège, Philippines, 2019, 26 minutes.
Réalisation et scénario : Johanna Pyykkö. Image : Torbjørn Sundal Holen. Montage : Magrete Vinnem, Brwa Vahabpour et Johanna Pyykkö. Son : Inger Elise Holm. Musique originale : Jens Fougner. Interprétation : Øyvind Brandtzæg et Angeli Bayani. Production : Barbosa Film et Epicmedia Production.