"Tarim le brave contre les mille et un effets" de Guillaume Rieu
Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les films d’aventures sans jamais avoir osé le demander. Bonus : entretien avec Mathieu Alvado, le compositeur de la musique originale.
En deux films (il a depuis réalisé Mars IV, une commande de science-fiction pour Canal +), Guillaume Rieu a apporté une touche singulière, sans suite notable toutefois, au court métrage français, court-circuitant ponctuellement son aimable ronronnement, sa prudence vis-à-vis du cinéma de genre et sa paresse coutumière et souvent désespérante en matière de comédie.
Relativisons toutefois. Il ne fallut pas attendre L'attaque du monstre géant suceur de cerveaux de l'espace – son premier film, en 2010, greffe aberrante qui croisait avec gourmandise les comédies enchantées de Jacques Demy avec les films de la Hammer – pour que le cinéma bis, parodié ou pastiché, s'invite dans les festivals de courts métrages. Loin de là. Guillaume Rieu n'était pas le premier et ne sera pas le dernier à s’emparer des conventions des films de monstres pour les moquer ou les délirer gentiment. Et on s'agacera encore longtemps sans doute de ce règne du second degré surplombant, plus proche de l'esprit « Nanarland » que de l'admiration sincère des spectateurs de cinéma bis écumant depuis deux décennies, le vendredi soir, les travées de la Cinémathèque Française.
Mais la force de Guillaume Rieu, d'emblée, fut de s'atteler à ses hommages distanciés avec une candeur et une sincérité qui n'avaient d'égal que son goût pour l'artisanat et le bricolage vintage. Monstres minutieusement animés en stop-motion, matte paintings de décors faramineux, exotisme codifié, musique orchestrale à l'ancienne, les emprunts sont légion dans Tarim le brave contre les mille et un effets, film d’aventures envisagé au premier degré, mais carburant paradoxalement à la référence, au détournement et au discours méta sur les codes du genre, n'hésitant pas à mêler en un maelstrom aussi jubilatoire qu’affectueux les squelettes animés par Ray Harryhausen dans Jason et les Argonautes, les aventures de Sinbad le marin ou d’Ulysse et les aventures exotiques d'un Indiana Jones qui aurait été intercepté dans sa course par le Fritz Lang du Tombeau hindou.
Si Guillaume Rieu cultive l'emphase (dans le jeu de son acteur/héros virevoltant sous influence Errol Flynn) et le trop plein (« Hé ! Là ! Homme-poisson-cyclope-géant ! »), la drôlerie ne provient jamais dans son film d'une moquerie facile vis-à-vis du genre, mais plutôt d'une situation narrative magique (un génie est à l’œuvre dans les premières séquences) qui force le film à se retourner sur lui-même, le dérègle littéralement (sortant des rails du projecteur autant que de la temporalité normalement gouvernée par le montage), révélant à ses héros leur nature de personnages de fiction prisonniers d'un destin qu'ils ne maîtrisent pas.
Le procédé n'est pas nouveau et nous rappelle autant Last Action Hero de John McTiernan (la découverte par un héros se croyant indestructible des artifices du cinéma d'action hollywoodien) que Toy Story 2 (la prise de conscience de n'être qu'un jouet dupliqué à l'infini). De ce postulat malin, parfois facile reconnaissons-le, le réalisateur tire le meilleur en un petit précis de mise en scène frondeur et rigolard où hors-champ, voix off, thèmes musicaux, fondus et effets spéciaux sont vidés de leur valeur usuelle et conventionnelle pour s'exhiber en artifices assumés, renvoyant par là – en même temps que les effets spéciaux imparfaits – au plus important : le désir, malgré tout, de croyance du spectateur.
S'épuisant finalement sur lui-même dans un pastiche d'expérimentations plastiques sur la matière même de la pellicule (faisant logiquement entrer en collision Peter Tscherkassky, Tex Avery, Virgil Widrich et Chuck Jones), Tarim le brave… doit être vu comme une pure déclaration d'amour à un certain cinéma d'aventures sous influence hollywoodienne. On ne lui en demandera finalement pas plus. Mais c'est déjà beaucoup.
Stéphane Kahn
Réalisation, scénario et montage : Guillaume Rieu. Image : Victor Seguin. Musique : Mathieu Alvado. Son : Stéphanie Benoit-Lizon, Alexis Marzin et Théo Grand. Interprétation : Sélim Clayssen, Delphine Théodore, François Jerosme, Sami Zitouni, Sidney Ali Mehelleb et Aliocha Itovich. Production : Metronomic.