Cahier critique 21/10/2020

“Symbiosis” de Nadja Andrasev

Une femme trompée commence à enquêter sur les maîtresses de son mari. Sa jalousie est progressivement remplacée par de la curiosité.

Délaissée par son mari qui la trompe avec de multiples maîtresses, l’héroïne de Symbiosis flotte dans un état proche de l’apnée. Une apnée du chagrin, ou de la solitude, à l’image de ce plan d’ouverture où le spectateur est plongé lui aussi dans l’eau de la piscine et qui, d’emblée, ancre le point de vue du film : tout à son personnage. En proie à une douleur mêlée de fascination, la jeune femme traque les rendez-vous qui s’organisent dans son dos, au parc ou au zoo, pour observer l’homme qu’elle aime aimer d’autres femmes. Elle voit ses rivales partout, habitée par une obsession que l’on pourra juger destructrice. Mais l’admiration le dispute au ressentiment. Certains épinglent des papillons dans des cadres ; elle compose, telle une naturaliste fétichiste, des mood boards à leur effigie, liste leurs hobbies, collectionne des traces intimes de leurs corps – poils, cheveux – comparés, enviés. La jalousie, un vilain défaut ? Entre masochisme et magnétisme, Symbiosis explore toute l’ambiguïté de ce sentiment, qui conduit son héroïne à découvrir, dans le décor d’une grande métropole moderne propice à l’isolement, des endroits insoupçonnés de son désir. 

Servi par un travail d’animation magnifique, dans un univers graphique au trait minimaliste et une palette de couleurs appliquée tout en à-plats francs, le film ne comporte aucun dialogue. Ainsi débarrassé des mots, il peut se concentrer sur le déploiement d’une imagerie aussi puissante que surprenante, notamment celle des animaux, qui peuplent chaque plan. Convoqués selon différentes modalités, ils sont tantôt métaphores glissées dans les éléments du récit, tantôt vignettes à part entière, traits d’imagination jaillissant dans une narration qui oscille entre onirisme et réalisme prosaïque. Le logement du couple est envahi d’insectes de plus en plus nombreux, comme une nuée de menaces, porteurs de l’infidélité et de la distance grandissante qui vient grignoter la relation. Des papillons quittent leur chrysalide et ouvrent leurs ailes de dentelles ornées de pois : le processus de métamorphose de l’héroïne est à l’œuvre. 

Attentif à une expression profonde de la sensualité, Symbiosis s’attaque à chacun des cinq sens et s’aventure loin dans sa peinture de l’intimité. En exhumant d’une poubelle dérobée sur un pas de porte les restes d’un repas adultère, l’héroïne se livre à une dégustation d’un reste de sushis. Projeté sur les boules de riz, son imaginaire divague vers une vision de femmes roses alanguies, autant de poissonnes crues qui l’invitent à s’absorber dans l’observation de son propre corps. Le noir de jais de sa chevelure résonne avec les fourrures félines des tigresses et panthères des neiges du zoo, figures aussi sublimes que dangereuses qui se promènent aussi tatouées sur les peaux. Son et image conjugués rendent ces matières ultra sensibles et l’on plonge les mains dans ces toisons épaisses et soyeuses. La symbiose proposée ici se joue dans le trajet vers nos créatures enfouies, nos monstres intimes, que le film nous invite à apprivoiser pour, peut-être, aller jusqu’à une remise en question de la suprématie de la monogamie comme modalité de relation. 

Cloé Tralci

Réalisation et animation : Nadja Andrasev. Scénario : Nadja Andrasev et Rita Domonyi. Montage : Judit Czako. 
Son : Peter Benjamin Lukacs. Musique originale : Mads Vadsholt. Production : Miyu Productions.

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