Cahier critique 03/02/2021

“Swatted” d’Ismaël Joffroy Chandoutis

Des joueurs en ligne racontent leurs difficultés à échapper au “swatting”, un phénomène de cyber-harcèlement qui menace leur vie à chaque partie. Les événements prennent forme à travers des vidéos YouTube et des images vectorielles issues d’un jeu vidéo.

Grand succès de festivals et présélectionné pour le César 2021 du meilleur court métrage d’animation, Swatted d'Ismaël Joffroy Chandoutis évoque la pratique du swatting, une forme de cyber-harcèlement consistant à provoquer un assaut du SWAT (unité d'élite spécialisée) au domicile de joueurs en ligne, en faisant croire qu’ils ont pris des otages, ou s'apprêtent à tuer leur famille. Mais au-delà des témoignages par ailleurs édifiants des victimes, le réalisateur (connu également pour ses films Ondes noires et Maalbek) s’empare de ce phénomène particulier de criminalité en ligne pour interroger la porosité entre réel et virtuel, et mener une réflexion plus profonde sur la manière dont ils se contaminent mutuellement.

Pour ce faire, il s’inscrit dans une démarche artistique à la frontière entre le documentaire et le cinéma expérimental, en s’appuyant sur des images et des sons préexistants (trouvés principalement sur youtube) auxquels il adjoint des images vectorielles issues d’un jeu vidéo privé d’une partie de ses textures. Par le simple biais du montage et des répétitions apparaît alors un fascinant jeu d’écho et de correspondances qui va jusqu’à la mise en abîme la plus vertigineuse : la mise en scène, par certains joueurs en mal de notoriété, d’une fausse action de swatting.

L'alternance de scènes issues de parties en ligne, dans lesquelles les joueurs incarnent des policiers qui poursuivent des criminels, et des véritables scènes d’arrestation, dans lesquelles ils deviennent eux-mêmes les criminels à arrêter, est saisissante. La violence apprivoisée du jeu fait soudainement irruption dans leur vie, tandis que les manifestations concrètes d’une descente de police viennent les cueillir lors d’un moment d’évasion pourtant situé dans un espace de fiction. De la même façon, la trame vectorielle du jeu envahit la réalité et semble en dévoiler la “matrice”, achevant d’uniformiser les deux mondes. Le spectateur est ainsi immergé dans une sorte de paysage mental global, à l’intérieur duquel la menace semble pouvoir arriver de partouttout le temps, alors même que le joueur se croit protégé à la fois par la sécurité de son foyer et par la dimension purement virtuelle de l’univers où il évolue.

Fidèle à son habitude, Ismaël Joffroy Chandoutis pose plus de questions qu’il ne donne de réponses, notamment sur les mécanismes mis en œuvre dans les actions de swatting, et ce qu’ils révèlent d’une société. Il laisse également au spectateur le soin d’envisager les conséquences à long terme de la libre circulation de nos données, qui facilite, voire induit, la confusion entre les espaces. Le film s’inscrit ainsi pleinement dans la démarche d’un cinéma de recherche qui se veut bien plus le reflet des interrogations d’une époque que le simple constat factuel ou moral d’un phénomène de société.

Marie-Pauline Mollaret

Réalisation, scénario et image : Ismaël Joffroy Chandoutis. Montage : Maël Delorme. Son : Alban Cayrol. Interprétation : Sean Goldring et Marielle Rosic. Production : Le Fresnoy.