Cahier critique 02/05/2023

"Stella Maris" de Giacomo Abbruzzese

Un village perdu au bord de la Méditerranée. À l’occasion d’une fête populaire, tous les habitants se rassemblent sur le bord de mer dans l’attente de l’arrivée par les eaux d’une statue illuminée : la Stella Maris, Vierge de la mer. L’histoire d’un artisan de la lumière et de sa fille, d’un maire borgne, de feux d’artifices comme une bombe et du street-art comme révolution.

“La beauté sera CONVULSIVE ou ne sera pas.” (André Breton, Nadja

Un petit village d’une côte italienne. Le soleil. Une prison. Des détenus. Un maire borgne et retors. Une fête religieuse. Une Vierge à illuminer. Une jeune femme rousse dissimulant un lourd secret. En à peine quelques minutes sont posés, à gros traits (façon “ligne claire” si on était dans une BD), les éléments d’une histoire riche et féconde, où le réalisateur brassera folklore et corruption, amour et anarchie, mythe et trivialité, Pasolini et Fellini, giallo et tragédie. Cantonné à quelque vingt-quatre heures, Stella Maris déploie pourtant la matière romanesque d’une fresque. C’est peut-être sa limite, mais c’est aussi sa beauté, le film palpitant de visions sidérantes, de suggestions narratives que les ellipses rendent plus stimulantes encore, car plus poétiques, car plus abstraites. 

Comme dans Fireworks, autre film de ce cinéaste diplômé du Fresnoy, on traite de terrorisme, mais celui-ci, sciemment déconnecté d’une réalité politique (ou alors juste relié à une idée : la corruption), sera cette fois strictement théorique, absolument plastique, les slogans étant des dessins que les bombes d’un graffeur crachent sur les murs et les actes terroristes des explosions de couleurs à la forme indéterminée, mais aux effets avérés. Là n’est pas l’important, encore moins les motifs d’une lutte politique reléguée à l’amont du film. Compte ici surtout l’histoire d’un prisonnier que celle qui l’aime veut sauver. C’est universel et c’est suffisant. 

Cela posé, le maniérisme se déploiera sans complexe, le cadre fictionnel très précisément cartographié dès l’entame du récit par Giacomo Abbruzzese se prêtant favorablement à l’artifice, à l’imagerie et au cliché. Alors, le titre pourra bien n’étinceler plein cadre qu’au bout de douze minutes, le beau détenu innocent pourra bien, à sa juge, proclamer théâtral (en gros plan et face caméra) : “Je méprise votre jugement. Je méprise votre horreur.” Tout, pendant vingt minutes, contribuera à construire un univers propre : ni réaliste, ni fantastique, mais discrètement référencé, admirablement photographié, quelque part entre les deux, dans un ailleurs symbolique à la beauté renversante.

Stéphane Kahn

Article paru dans Bref n°114, 2015.

France, Italie, 2014, 26 minutes.
Réalisation et scénario : Giacomo Abbruzzese. Image : Guillaume Brault. Montage : Marco Rizzo et Giacomo Abbruzzese. Son : Vincenzo Urselli et Simon Apostolou. Musique originale : Luc Meilland et Alessandro Altavilla. Interprétation : Federico Pacifici, Guendalina Cardea, Angelo Losasso et Bruno Soriato. Production : La Luna Productions et Dugong Films.