“Star Suburb, la banlieue des étoiles” de Stéphane Drouot
La nuit, dans un H.L.M. galactique. Mireille, petite fille insomniaque, est inquiétée par d’étranges bruits et lumières...
En 1982, la mode est à l’espace sur les grands écrans, dans l’Hexagone comme ailleurs : la saga Star Wars en est à son deuxième épisode distribué (le troisième, Le retour du Jedi, le sera l’année suivante) et Spielberg connaît un succès planétaire avec E.T. En France, un jeune réalisateur inconnu, âgé de vingt-deux ans seulement, se lance lui aussi dans un film de science-fiction se déroulant aux confins du cosmos. Il se nomme Stéphane Drouot et achève alors de tourner dans sa cuisine – selon la légende – Star Suburb, la banlieue des étoiles, en 16 mm et format Scope. Avec trois bouts de ficelles, au fil de trois années de production et mené par une foi inébranlable, sans doute, et l’assurance d’une certaine innocence. Le film, ambitieux, rencontrera un succès incontesté, avec le Grand prix au Festival d’Avoriaz 1983 (autrement dit le haut-lieu du cinéma fantastique de ces années-là, qui faisait affluer tous les aficionados du bizarre), avant le Grand prix de la compétition française au Festival de Clermont-Ferrand et le César du meilleur court métrage de fiction, en 1984.
Il aurait aussi pu – dû ? – lancer son réalisateur vers une riche carrière dans ce genre peu habituel dans le cinéma français. Il n’en a rien été, Star Suburb… n’a pas eu de postérité et Stéphane Drouot sera resté l’homme d’un seul film, malgré l’écriture de scénarios de qualité, d’après la rumeur, et n’ayant jamais trouvé de financements. Conseiller technique de Gaspar Noé sur Carne en 1991, cité dans les remerciements de Seul contre tous en 1998 et passé devant la caméra dans Irréversible en 2002, il est décédé début 2012, la cinquantaine à peine dépassée.
Un destin tragique et douloureux qui n’empêche pas Star Suburb… d’avoir acquis un statut de film-culte dans les arcanes du court, et même au-delà, par sa dimension graphique, son atmosphère poétique, ses références générationnelles et son humour ouaté, comme en apesanteur. Dans cette “banlieue des étoiles”, on n’est pas loin de l’ennui du quotidien régnant dans les barres HLM d’une cité lambda et on tue le temps en lisant une sorte de Paris-Match stellaire ou on écoute un jeu radiophonique, auquel on essaie de téléphoner pour gagner un truc… C’est ce que fait la petite Mireille, depuis un étage de son “French Building” – curieusement inversé – de la septième banlieue, elle qui se rêve en “Countess Merryl”, dont les nattes rappellent furieusement une certaine Leïa. Mireille rêve, et croit bien saisir l’occasion de gagner les cinq mille jetons qui lui permettront de changer de vie et d’échapper à son train-train ennuyeux.
Sans dialogues ou presque, sinon le son de la station RK2 à la radio, avec sa voix de speaker en anglais, Star Suburb… est étroitement lié à l’époque de sa conception, celle des grandes heures du magazine Métal hurlant et du Bunker de la dernière rafale de Marc Caro et Jean-Pierre Jeunet, peu ou prou son contemporain. Celle du Dernier combat de Luc Besson, aussi, qui devait débarquer, tout aussi mutique, sur les écrans l’année suivante. Un moment de l’histoire du cinéma français où l’on pensait qu’une nouvelle génération allait se consacrer au cinéma de genre, jusque-là principalement l’apanage du cinéma américain. La question s’est reposée régulièrement, de façon sporadique, sans que le mouvement ne s’enracine jamais vraiment. Et Stéphane Drouot reste comme un pionnier, celui d’une odyssée de l’espace à la française restée à l’état de rêve inassouvi. C’est peut-être précisément ce qui est beau et précieux, sinon touchant, à la vision de son film, aujourd’hui restauré et ainsi quasi-muséifié, où l’“extra-ordinaire” se nourrit directement de la banalité de la situation domestique initiale.
Christophe Chauville
France, 1982, 28 minutes.
Réalisation et scénario : Stéphane Drouot. Image : Philippe Welt. Montage : Catherine Horvath. Son : Jean-Charles Jarrell et Jean-Michel Rossi. Interprétation : Caroline Appéré, Rémy Giordano et Marcelle Turlure. Production : Banc Public et Zipy.