Cahier critique 22/05/2019

“Souvenir inoubliable d’un ami” de Wissam Charaf

Primé au Festival du court métrage de Clermont-Ferrand 2019.

Une mélancolie profonde nourrit le retour au court de Wissam Charaf, juste après son premier long, Tombé du ciel (2017). Le titre déjà, est une invite au passé injecté dans le présent, avec la boutade de la jeune fille désirée par le jeune héros, durant un jeu d’ados, lorsqu’elle demande ce que les initiales de “sida” veulent dire. La chanson qui marque le film, ensuite, tube et slow phare des dancefloors des années 1980 : The Power of Love de Frankie Goes to Hollywood, et dont le refrain célèbre cette force venue d’au-dessus pour purifier l’âme : l’amour. L’année du récit aussi, 1985, qui plonge dans la jeunesse du réalisateur à Beyrouth. Enfin, le visage observateur, candide et amoureux de Chadi, treize ans, avec sa nonchalance persévérante. Cette mélancolie est autant à l’œuvre dans l’approche de Charaf du temps qui passe en pays troublé, que dans celle de sa coscénariste Mariette Désert, experte en travail sur l’écoulement, le lien, le ressenti, chez Katell Quillévéré (Un poison violentSuzanne) ou Mikhaël Hers (CharellMemory LaneCe sentiment de l’été).

Hizz ya wizzL’armée des fourmis et Après sont les autres courts métrages où le cinéaste donne à voir son Liban originel, sans cesse tiraillé entre rester et partir, avant et après, disparition et espoir. Drapeau, hymne national, cours sur l’Indépendance : la patrie fait partie de l’éducation dans ce collège d’il y a trente-trois ans. La gravité est toujours là, tapie dans le son, d’explosions en voix-off de journalistes sur petit écran. Mais le burlesque alangui, tissé dans le minimal des gestes, situations et dialogues, crée un décalage constant où s’engouffre l’humanité. Chadi est un personnage infiniment touchant, dans son apprentissage sentimental comme dans les coups qu’il encaisse, d’un ballon, d’une chute sur une pierre, ou d’une main qui le gifle. L’ado, tel le roseau, plie mais ne rompt pas. Il résiste, persiste, et signe. D’un geste, il met en place ses sourcils avant une boum. D’une poigne assurée, il se sacrifie en frappant son bureau avec un livre pour sauver sa dulcinée de l’accusation professorale. De son nez, il snife enfin l’anti-sèche née des doigts de sa Raya.

Ralph Helali excelle dans la peau du protagoniste. Dépositaire de la mémoire, et aussi de l’humour. “Désolé, j’ai déjà quelqu’un” sort-il à sa jeune voisine quand elle tente un baiser. Les vingt-sept minutes de ce Souvenir… restent en tête après leur vision, tant l’alchimie fonctionne comme un charme enivrant. Histoire et monde en marche. Tradition et modernité. Folklore et pop new wave. Le choc des cultures permet la cohabitation fructueuse et salvatrice de la menace et de la dérision. “Si tu n’es pas un loup, les loups te mangeront”, dit la mère à son jeune fils. “Les maths, c’est pour les idiots qui font des immeubles”, réplique Chadi quand on lui demande en quelle matière il excelle. Lucidité et clairvoyance priment, mais n’empêchent ni le rêve, ni le désir. Éros et Thanatos règnent au pays des cèdres.

Olivier Pélisson

Réalisation : Wissam Charaf. Image : Martin Rit. Montage : Clémence Diard. Son : Pierre Bompy, Emmanuel Zouki et Paul Jousselin. Interprétation : Ralph Hilali, Nathalie Issa, Joseph El Hachem et Joe Issa. Production : Aurora films.