Cahier critique 14/10/2020

"Sororelle" de Louise Mercadier et Frédéric Even

Trois sœurs doivent affronter un cataclysme : la submersion prochaine des terres où elles vivent par la Mer. Face au chaos, l’union sororelle est bouleversée et chacune vit l’imminence de la mort, en son for intérieur, de manière différente.

Sous la forme d’un conte moderne, Sororelle interroge la frontière entre le collectif et l’individuel qui s’effrite face à l’inévitable, ici la montée immédiate de la mer qui va tout submerger. Avec une technique de stop-motion, Louise Mercadier et Frédéric Even nous dévoilent une histoire organique, où chaque élément visuel est construit, déplacé, remanié à la main, amenant ainsi une dimension physique très forte qui saisit immédiatement l’attention du spectateur et le projette au cœur de la narration. C’est sur l’idée du trouble et de l’incertitude comme objet d’unité que s’appuie ce court métrage. 

L’hésitation première, commune aux trois sœurs face au sort qui les attend, se mue en réactions divergentes, ce que le cadre met en valeur en les séparant et les présentant individuellement lorsque leurs émotions émergent. Anna est figée, autant dans ses gestes que dans son état d’esprit, tandis que Madeleine exprime une panique continue. Émilie, elle, se retrouve étrangement dans ce chaos et y voit la perspective d’un renouveau. Une sorte de dépersonnalisation, de détachement de soi s’empare d’elle et la guide vers cette fin prochaine. 

L’inspiration de Louise Mercadier et Frédéric Even pour leurs personnages provient des statues issues de l’art gothique du Moyen-Âge. D’apparence intouchables, ces figures en pierre sont ici transformées en une matière vivante et pénétrable, impuissantes face aux forces de la nature. 

Au fur et à mesure que la menace s’approche, le temps change et se distend. Les plans, relativement longs, permettent d’amplifier cette atmosphère suspendue naturellement associée à l’eau. Un travail très subtil sur la lumière accentue également cette sensation. Délicate, celle-ci évoque un désert, d’abord sec et chaud teinté de touches jaunes-orangées pour progressivement revêtir des tons plus froids qui annoncent l’avancée de la tempête. Une somatisation profonde se révèle chez les sœurs, que les réalisateurs expriment par l’apparition de nécroses sur le corps, causées par le sel de la mer qui envahit l’air. Lentement, ces nécroses se transforment en appel de la mer, surtout pour Émilie qui accueille pleinement le chaos. Lors du moment fatidique, la musique, qui berçait jusqu’alors l’écoulement du temps, s’intensifie et souligne l’attraction des vagues qui finit par rétablir la sororité dans un moment mystique. Finalement, Sororelle dresse un portrait possible du futur qui attend l’humanité : la nature reprend ses droits et ne semble pas nous inclure pour la suite. 

Aliénor Lecomte 

Réalisation et scénario : Frédéric Even et Louise Mercadier. Image : Simon Filliot. Montage : Elisa Zurfluh Faggianelli. Musique originale : Vladimir Zurfluh Faggianelli. Production : Papy3D Productions.

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