Cahier critique 18/11/2020

“Soleil bas” de Vincent Drouin

Les champs dans le matin calme. Une voiture s’approche péniblement sur un chemin boueux et s’arrête le long d’un hangar. Un homme et une femme en descendent. Ils avancent entre les bâtiments agricoles...

En un plan-séquence coulissant et “physionomiste” de dix minutes, Vincent Drouin bâtit un film dense et ambigu. Fondé sur un fait-divers, encore en jugement au moment où le court métrage fut achevé, Soleil bas déploie, sans avoir l’air d’y toucher, un grand nombre de micro-événements par touches de réel, bribes de socio-économie porteurs d’une vision non-orthodoxe du monde paysan. Le Prix Beaumarchais du meilleur scénario que le film avait obtenu en 2007 au Festival de Brest n’est pas, comme on pourrait le croire, un paradoxe. En effet, c’est avec la caméra seule que le cinéaste écrit, structure et découpe son film, le recours au plan-séquence panoramique et mobile lui faisant gagner au moins dix minutes. 

L’œuvre s’ouvre sur le sol d’un champ morne, vide. Le plan-séquence débute là, dans la désolation et l’indifférencié. Drouin choisit le détachement, l’épure (son film ne comporte aucune plage musicale, mais uniquement des bruits en guise de bande-son). L’objectif se lève un peu, juste le temps de croiser les trajets, à une certaine distance, d’un camion déglingué qui s’éloigne et d’une voiture entrant dans le champ. De cette voiture sortent un homme et une femme habillés sans luxe, mais que l’on devine citadins. Ce sont eux qui auront l’attention du cinéaste, ses gros plans, et l’intimité d’une parole échangée. La caméra ne les quitte pas, jusqu’à la fin où ils gisent sur ce sol fatigué dont la vision a ouvert le court métrage. 

Le plan-séquence fouineur, celui d’un Miklós Jancsó (Les sans-espoir, 1965) plutôt que celui d’un Alfred Hitchcok (La corde, 1948), permet ici de concentrer sur un minimum de temps un grand nombre d’événements, en élaguant partiellement la psychologie, et en transformant les vues du sol, des murs de la ferme et les mouvements des deux gestionnaires en éléments scénaristiques. Une esquisse de scénario traditionnel, qui n’aura pas d’incidence sur le drame, est brièvement saisie par une caméra intrusive et complice : l’homme quadragénaire est un représentant de la mutuelle agricole et la femme, plus jeune, une inspectrice du travail. Dans les conseils que l’individu prodigue à sa partenaire, inquiète de savoir s’ils seront bien reçus par l’agriculteur, on décèle une tentative de drague, d’autant plus que de petits mots anodins indiquent qu’ils font équipe pour la première fois, le mutualiste citant une collègue avec qui il fait ordinairement ses tournées (qui se passent bien).  

Le paysan-propriétaire que le duo doit contrôler, notamment sur le nombre de ses salariés, apparaît à peine à l’image. Les trois individus se croisent au milieu du film. L’agriculteur reçoit très mal ses invités indésirables : “Je n’ai rien à vous dire. Ça vous amuse d’embêter les gens qui bossent ?”, leur assène-t-il en disparaissant. La caméra ne quitte jamais les deux institutionnels, qui marchent, se parlent, inspectent les environs, cherchent l’hôte ; ils ont parfois droit à des plans rapprochés calligraphiés par une caméra bienveillante qui sait lisser l’espace pour bien décortiquer leur humanité.  

Avant le dénouement final, ils n’échangent qu’une seule fois avec l’agriculteur qui semble réticent à montrer les documents demandés par l’inspectrice. Dans un film traditionnel découpé, il y aurait eu certainement plus de plans, champs et contre-champs obligent, où chacun développerait ses positions. Mais le fait que le propriétaire disparaisse, que son père se tienne à distance, que tout soit vide, nous rapproche des films “urbanophobes” dont l’archétype est Délivrance, de John Boorman (1972), où les natifs (les rednecks américains) supportent mal la venue de citadins, perçus comme des ennemis. 

Tous ces sous-textes étant examinés, le message du film semble aller en faveur des administratifs qui souhaitent faire honnêtement leur travail. Ce qui va à l’encontre de films actuels – surtout des longs métrages – qui montrent plutôt les difficultés du monde agricole. Mais Drouin se “couvre” en signalant que “les faits qui ont inspirés ce film n’ont pas encore été jugés” et Soleil bas signale seulement, avec dextérité, que tous les “bureaucrates” ne sont pas des salauds. 

Raphaël Bassan

Réalisation et scénario : Vincent Drouin. Image : François Adler et Yoann de Montgrand. Montage : Julie Duclaux. Son : Thomas Sanlaville, Julie Duclaux et Philippe Deschamps. Interprétation : Delphine Chuillot, Philippe Soutan et Pierre Tarrare. Production : La Fémis.