Cahier critique 12/04/2022

“Sole mio” de Maxime Roy

Daniel gère tant bien que mal le désespoir de sa mère restée sans nouvelles de son père. Quand ce dernier débarque chez lui à la veille de son opération pour devenir une femme, Lisa, il doit forcer son père à enfin annoncer la vérité.

En 2019, Maxime Roy était remarqué avec Beautiful Loser, qui suivait le quotidien d’un ex-junkie occupé par son fils de dix-sept ans et son nouveau né. Il réalisait alors coup sur coup deux autres films courts : Sole mio et Des gens bien. Le premier nous présente Daniel, jeune homme qui gère comme il peut le désir de son père, répondant désormais à l’identité de Lisa de s’épanouir en tant que femme ; le second relate la vie d’un jeune couple sur le point d’être parents qui se débat pour sortir la tête de l’eau (Maxime Roy et sa propre compagne Clara Ponsot, réellement enceinte). De cette histoire, le réalisateur a aussi tiré un long métrage, Les héroïques, dont la sortie en salle est prévue pour 2021. On attend avec impatience de voir s’il s’en dégagera la même douceur que celle des trois courts. Leur force est de désigner les difficultés, les peines, sans jamais être poussifs ni plaintifs. De façon subtile, ils montrent que ces gens pourraient très bien céder à la colère ou la tristesse, mais s’accrochent, avancent malgré tout. Parce que même si on peut être tenté d’abandonner pour soi-même, il y a toujours une raison. Il y a toujours quelqu’un pour qui vivre, quelqu’un à rendre heureux, quelqu’un à aimer.

Pris dans son désir de marquer, le réalisateur ne ménage pas les spectateurs et commence les films au cœur du problème. Comme pour Beautiful Loser, dont le début nous plongeait dans une réunion d’alcooliques anonymes où Michel expliquait ses problèmes, Maxime Roy filme directement les conséquences des événements qui bousculent la vie des protagonistes. La mère de Daniel en pleurs face à son fils, cherchant désespérément à comprendre l’absence prolongée de son mari. Ludo et Manon essayant tant bien que mal de faire l’amour malgré la grossesse de la jeune femme. Le réalisateur n’hésite pas à laisser traîner le plan, fixe, jusqu’à près d’une minute. Il veut nous faire constater, sans détour, que parfois (faire) l’amour, c’est difficile. Ce n’est pas que baisers passionnés et galipettes sans encombre. On se parle, on se fait mal, on n’y arrive pas. Mais, comme le dit Ludo, “c’est pas grave”.

Ces premiers plans, sobres, sont à l’image des films. Ils utilisent un panel de couleurs proche de la vision humaine, ni trop sombre ni trop coloré. Ils ne sont pas surcoupés, le montage et le cadre laissent aux personnages le temps et l’espace de se déployer. La caméra bouge légèrement pour accompagner les mouvements, tremble un peu lorsque Daniel est bouleversé parce que son père n’a toujours pas écrit de lettre pour sa mère, élargit le plan pour donner la place de bouger au corps arrondi et nu de Manon, parfaitement à l’aise. Le traitement du son suit la même logique. Peu de musiques extra-diégétiques, peu de bruits viennent parasiter la bande son, faisant ressortir les voix, avant tout. Dans le silence et à travers le talkie-walkie, la mélodie chantée par Lisa à son fils résonne, comme les souvenirs dans la tête du jeune homme. Souvenirs d’une complicité que des détails de mise en scène mettent en valeur, comme les mots “père” et “fils” cousus sur leurs combinaisons de plombiers. Ce sont ces attentions qui transmettent toute la subtilité des relations. Comme le petit mot laissé par Manon sur la table de chevet de son grand-père mourant ou le dîner qu’elle prépare, mais que Ludo ne mangera pas, parce qu’il est trop fatigué. Ces détails sont la gageure d’une certaine pudeur, qui imprègne aussi deux scènes en particulier, Filmées derrière une vitre. Dans Sole mio, Lisa se rend dans la boulangerie où travaille son ex-femme et y achète une pâtisserie, mais sans révéler son identité. Cette rencontre, qui n’en est pas vraiment une, est filmée à travers la vitre du magasin, à la fois pour signifier que Lisa préférerait ne pas être là, mais aussi pour la laisser seule avec ses sentiments confus. Dans Des gens bien, c’est pour l’annonce de la mort proche du grand-père qu’une vitre s’interpose entre les protagonistes et la caméra, entre une trop forte douleur et nous. Cette discrétion et cette simplicité suffisent d’autant plus que les acteurs portent très bien les films. L’impression de sincérité qui se dégage d’eux participe grandement à la justesse des sentiments dépeints. Ils nous font comprendre la détresse de personnes dans le besoin, difficilement capables de faire le poids face à ce qui se présente à eux.

Est-ce la faute du grand-père s’il meurt, obligeant sa petite-fille et son compagnon à accourir au milieu de la nuit ? De Ludo, s’il est fatigué parce qu’il pédale toute la journée, le plus vite possible, pour cumuler le plus de commissions possible ? De Manon, si son dernier employeur n’a pas payé les charges sociales ? De Lisa, si elle se sent heureuse en femme ? De Michel, s’il a connu une enfance difficile ? Ces personnages touchants sont pris dans des idées et des décisions sociales plus grandes qu’eux. Par exemple cette petite allusion au passage à la nouvelle réforme du chômage (qui a été finalement annulée suite à la crise sanitaire), qui veut qu’un chômeur justifie six mois de travail avant de pouvoir toucher ses indemnités. Et alors, “comment ils font les gens, madame ?”, pleure Manon à bout de force. Ils redoublent d’effort et retrouvent leur raison de vivre, quelque part sous la crasse des galères. Ils retrouvent leur amour et se serrent les coudes. Parce que la plupart sont des gens bien.

Anne-Capucine Blot

Article paru dans Bref n°126, 2021. 

France, 2019, 23 minutes.
­Réalisation : Maxime Roy. Scénario : Gall Gaspard et Maxime Roy. Image : Balthazar Lab. Montage : Clément Candelara et Nicolas Demaison. Son : Julien Sena, François Fayard et Martial de Roffignac. Musique originale : Pierre Rousseau. Interprétation : Gall Gaspard, Jackie Ewing, Marie Desgranges et Karim Lagati. Production : TS Productions.