"Signes de vie" d’Arnaud Demuynck
Une sublime chorégraphie émotionnelle tout en lignes épurées.
En pleine nuit, une jeune femme se rend dans un cimetière. Face à la pierre tombale de celui qu’on devine être son amant disparu, elle se résigne à la douleur et se dirige alors vers une falaise vertigineuse, abandonnant sa lutte contre le désespoir qui l’étreint. Elle ne perçoit pas encore les circonvolutions de poussière qui l’accompagnent sur son funeste chemin.
Film en 2D, ce n’est pas par l’originalité de son scénario que Signes de vie fascine, mais bien par sa senbilité de traitement du deuil. Pour cela, le réalisateur fait appel à Cyril Vialon, déjà chorégraphe du dernier court métrage d’Arnaud Demuynck (L’écluse, 2000). De cette complémentarité artistique naît une séquence chorégraphique bouleversante, charnière dramatique du film. C'est un espace-temps onirique durant lequel la jeune femme sera sauvée par l'âme du disparu alors que sa vulnérabilité est à son comble. La fragilité palpable de la danseuse face à cette force surnaturelle est renforcée par sa nudité – principe chorégraphique fréquemment utilisé –, mais également par l'utilisation de noirs et blancs saturés, qui contrastent avec les clairs-obscurs du début. Ils fragmentent, décomposent et épurent encore davantage le corps de la jeune femme, alors réduit à n'être plus qu'une silhouette pénétrée de cet irrésistible souffle de vie.
Ce souffle matérialisé, par exemple, par le mouvement des feuilles dans les arbres est obtenu par le filmage de dessins sur divers supports, scannés et appliqués en couches successives. Le réalisateur reforme alors son couple et l'âme du défunt, ayant pris la forme d'une ombre humaine, devient le partenaire attentionné de la danseuse. Une idée poétique qui vient enrichir une séquence de flash-back dans la scène du cimetière : prostrée devant la tombe, la jeune femme se souvient, dans un halo blanc, du jeune marié qui la portait dans ses bras. Mais un songe n'a pas la force de l'âme elle-même et la jeune femme retombe à terre et dans de gris tourments. Là encore le noir et blanc est une composante à part entière de la mise en scène d'Arnaud Demuynck et participe à la description de l'évolution psychologique du personnage. De fait, les variations de luminosité sont d'une telle intensité que le lever de soleil final – symbole de l'acceptation du deuil en cette nuit initiatique – semble saturé du rouge de la vie.
Fabrice Marquat
Article paru dans Bref n° 62, 2004.
Réalisation et scénario : Arnaud Demuynck. Animation : Vincent Bierrewaerts, Gabriel Jacquel et Gilles Cuvelier. Montage : Anne-Laure Guégan. Musique : Jarek Frankowski. Décors : Nicolas Liguori. Son : Fred Meert. Production : Les Films du Nord.