Cahier critique 02/03/2021

“Shakira” de Noémie Merlant

En cherchant comment sauver sa famille d’un retour à la rue, Shakira, une jeune Rom, va intégrer le “gang aux pinces” et rencontrer Marius…

Le deuxième court métrage comme réalisatrice de Noémie Merlant, après Je suis #unebiche, est né de sa rencontre avec la communauté rom, une famille en particulier. Shakira est un film témoignage qui n’en reste pas au regard documentaire, mais transcende le réel via les artifices narratifs et esthétiques. Sur la construction tout d’abord, l’auteure joue la figure de la boucle, avec l’élocution initiale de la jeune héroïne-titre, déclamée telle une revendication introductive, et qui s’avère dans l’ultime plan une déclinaison d’identité au poste de police. Entre les deux ponctuations, il est question de rêves et d’amour. Rêve d’intégration à la société française, aux codes normatifs de l’apparence (travailler comme vendeuse chez Zara), à tout ce qui brille (les bijoux offerts par Marius à sa mère ; le regard des autres quand Shakira chante). Rêve de se sortir de la rue et du Platz rom en périphérie, sur les rails abandonnés de la capitale. S’en sortir par le travail, la démerde, les trafics, la revente. Et par l’amour, car Shakira rencontre Marius. 

Le regard de Noémie Merlant se précise sur les personnages et sur les enjeux qui les motivent. Si son premier court était né d’une opportunité de festival (le Nikon Film Festival) et d’une boutade entre copines (le filtre “biche” sur Snapchat), l’intention créatrice se renforce ici, en prémisse d’un premier long métrage achevé depuis, Mi iubita. Le geste de filmer des Roms à Paris, puis en Roumanie, s’est affiné et étoffé dans ce dernier, en incluant l’interprète de Marius, Gimi Covaci, comme coscénariste et acteur principal à nouveau. À travers lui, et aussi Catalina Danca dans Shakira, la réalisatrice chante la jeunesse, l’énergie, le désir qui se voudrait normé par les traditions et la communauté, mais qui veut s’échapper de la fatalité et du déterminisme. Le pari est d’injecter du conte dans les baraques de fortune, en jouant la carte des couleurs chaudes, chatoyantes et d’une image ouatée, en quête d’une grâce discrète et d’une expression par les jeux de regards. De la fable pour enjoliver les limites et la trivialité du quotidien, mais qui accueille aussi son lot de cruauté. 

L’intrigue est simple, sans prétention, à hauteur de l’espoir chevillé au corps et au yeux de son personnage vecteur. On sent que la cinéaste expérimente, teste, découvre en faisant. Du cinéma comme laboratoire de création, en parallèle de son activité comme interprète pour les autres. Elle apparaît ici dans une scène, en vendeuse de magasin qui sert de miroir modèle à Shakira, adoptant son geste de remettre une mèche de cheveux derrière l’oreille, tout comme sa façon de répondre aux clients. Montrer la voie tout en la cherchant, c’est le crédo défricheur de Noémie Merlant. Un défrichage teinté de mélancolie et de candeur, car les idéaux sont contrariés et la réalité peut s’avérer fatale, à l’image du titre d’Indila que Shakira entonne pour le gang en pleine virée nocturne  : “Dernière danse”. 

Olivier Pélisson 

Réalisation et scénario : Noémie Merlant. Image : Raphaël Vandenbussche. Montage : Thomas Fernandez. Son : Rémi Chanaud et Lucile Demarquet. Interprétation : Gimi-Nicolae Covaci, Catalina Danca, Razyan Rupa et Arthur Vasile. Production : Insolence Productions.

Rencontre avec Noémie Merlant dans Court-circuit :