Cahier critique 04/11/2020

“Ses souffles” de Just Philippot

Lizon vient d’assister à l’anniversaire de sa copine Marie. Les amies autour du gâteau d’anniversaire, les bougies à souffler, le vœu à faire l’ont émerveillée. Pour ses neuf ans, Lizon veut faire la même chose. Un anniversaire avec un gâteau, des bougies et ses amies, chez elle : dans la voiture.

Lizon, une pensive fillette de neuf ans, se trouve au centre du cadre devant un gâteau et des bougies. Il faudrait faire un vœu. On pourrait penser que c’est son anniversaire, mais on est surpris au moment où elle se fait réprimander quand elle souffle les bougies, qui ne sont pas les siennes. Quel genre de vœux a-t-elle pu faire ? Se voir offrir le dernier jouet à la mode ? À moins que ce ne soit l’espoir d’une vie moins chamboulée ? Il faut dire que Lizon et sa mère survivent dans leur voiture. Ses souffles s’organise, tambour battant, entre les turpitudes des emplois transitoires et la volonté d’une enfant d’organiser son anniversaire. Tandis que sa mère placarde des annonces où elle propose ses services à domicile, Lizon, elle, dessine les préparatifs d’une fête dans l’habitacle restreint de sa voiture. 

Avant de récemment bifurquer vers le fantastique avec Acide et La nuée, Just Philippot s’est essayé, dans l’un de ses premiers courts métrages, au drame social rappelant le naturalisme rêche des frères Dardenne – avec comme leitmotiv l’humain en dissidence broyé par un système qui le dépasse (à savoir les ravages de la crise économique en Bretagne). Dans ses récits, le sujet est gouverné par l’individu ou la famille en conflit avec la société. Ici, la narration progresse comme une fuite en avant filmée avec la même rugosité que dans le court métrage Acide, qui était également innervé par un sentiment d’essoufflement. Lizon et sa mère arpentent la ville en voiture à la recherche d’un lieu où passer la nuit. Elles roulent parmi les grandes enseignes vides où seuls les néons blêmes, les panneaux publicitaires (avec l’inscription “Liquidation totale”) et les parkings obscurs prédominent. Elles roulent pour se mouvoir, mais elles sont paradoxalement condamnées à faire du surplace. La jeune fille souhaiterait se rendre à la plage, un paysage avec un point d’horizon, avec un espoir envisageable. Sauf que ce bord de mer est également une pancarte publicitaire où il est écrit “Destinations de rêve”, un simulacre dans un plan cruel montrant l’impossibilité de faire corps avec le monde. 

Les personnages, souvent féminins chez le cinéaste, se retrouvent dans des postures extrêmes, mais, admirables, ne plient pas face à l’adversité. Les femmes sont dépeintes comme battantes, déterminées, et transforment la honte en dignité ou en résilience à l’image de l’ardente Suliane Brahim dans La nuée. Cette résistance s’affirme d’abord dans la créativité. Des inserts à l’intérieur du véhicule racontent de beaux détails ; malgré cet espace exigu et inadapté, l’habitacle se voit changé en lieu inventif, en chambre pour enfant ou en sorte de cabane pour se mettre à l’abri du monde inhospitalier. On distingue des traces de l’imagination des enfants : un autoradio sur lequel on a dessiné des notes de musique comme pour compenser le fait qu’il n’y a plus de vraie joie de vivre depuis longtemps. Lizon tente de se réapproprier l’espace. Ce qui pourrait paraître anodin, voire dérisoire (une fête d’anniversaire), cache un sentiment fondamental : “Pourquoi c’est si important ?”, demande une directrice préoccupée ; “J’ai peur de disparaître” rétorque Lizon, manifestement en crise existentielle précoce, mais surtout en quête de normalité. L’enjeu d’une telle robustesse est en fait moral, cette organisation ne répondant pas seulement au souhait de préserver la verve ou l’innocence de l’âge tendre, mais le vœu d’exister, coûte que coûte. 

William Le Personnic

Réalisation : Just Philippot. Scénario : Pierre Dejon et Just Philippot. Image : Pierre Dejon. Montage : Nicolas Sburlati. Son : Alexandre Hecker, Matthieu Langlet et Olivier Mauvezin. Musique originale : Renaud Mayeur. Interprétation : Candela Cottis et Marie Kauffmann. Production : Offshore.