Cahier critique 30/10/2019

"Saint-Jean" de Simon Rieth

Bonbons, rap et nostalgie de l’enfance qui s’enfuit...

Simon Rieth a vingt-quatre ans et déjà un fameux parcours de court métragiste. Des films aux titres évocateurs, entre poésie, incantation et constat sans appel : Feu mes frères, Mère voici vos fils, Diminishing Shine, Marave Challenge, Sans amour. Le lien familial, l’éclat menacé, le danger qui gronde, la privation, la disparition. Dans Saint-Jean, tout y est aussi. Et toujours cette prééminence de la disparition. Une représentation douloureuse du passé enfui, du présent qui s’en va au fur et à mesure qu’il est vécu. Une fuite en avant vers l’effacement, l’engloutissement. Les deux ados, Yanis et Noé, traversent cette expérience des derniers moments estivaux ensemble, avant la rentrée scolaire. Une nostalgie les saisit, surtout le plus jeune, le plus petit en taille, Yanis, pétri d’une tristesse qui le dépasse. Il répète en boucle les paroles d’un titre de son idole, le rappeur Jul, qui racontent une autre boucle d’isolation : “J’fais des tours et des détours / On m’appelle / J’fais le sourd”.

Les héros de Simon Rieth semblent hermétiques au rationnel, déplacés vers un ailleurs étrange, au bord du précipice. Comme une inadaptation douloureuse, conséquence d’un surplus émotionnel, qui les mènent au débordement. Entre extrémisme juvénile et adoration viscérale. Ici déclarations-aveux, larmes, rire nerveux. Déclaration à Noé, dont Yanis est déjà en manque. À Jul, dans une conversation digitale fantasmée : “J’aimerais être avec toi, t’es mon dieu, Jul, j’te jure (…), mais j’ai besoin de toi, moi… Je pense tout le temps à toi, je veux devenir comme toi…

La fascination pour les aînés se double d’un trouble sexuel qui ne dit pas son nom, dans l'adolescence baignant au royaume de la confusion, tout comme le héros plus grand de Feu mes frères surjoue sa virilité pour masquer sa fragilité.

Avec des mouvements de caméra lents et une bande-son à l’électro lancinant, le cinéaste enserre la séparation proche, d’un terrain de basket aux abords d’une forêt. La mort plane. Celle du cousin de Noé en moto, Jean, dont le fantôme ressurgit de la nuit. La destruction aussi, comme les ruines d’une cabane. La nuit enfin, tombée sur Yanis quand l’histoire se termine.

Mais tout n’est pas noir. Non. Comme les emballages de tous les bonbons, gâteaux et canettes de soda que les gamins se sont enfilés, et qui constituent le fond aux tons pops acidulés sur lequel vient s’imprimer le titre du film. Comme le rire final de Yanis, certes nerveux, mais énergique dans son opacité. Rieth s’est trouvé un ton singulier, abrupt, sombre, mais toujours en mouvement. Un mouvement créatif en cours vers un premier long métrage, Nos cérémonies. Encore l’idée du groupe et du rituel. Mystère. Patience.

Olivier Pélisson

Réalisation, scénario et montage : Simon Rieth. Image : François Ray. Son : Lucas Salvador. 
Interprétation : Yannis Maaliou, Noé Charlot et Hugo Rieth. Production : Everybody On Deck.