“Rone - Room With A View” de (La)Horde
Un vent apocalyptique souffle dans le Théâtre du Châtelet. Violemment arrachée à son fauteuil, une spectatrice est propulsée au centre de la scène. Rone, assis à l’écart, regarde les corps tourbillonner. Alors que la tempête forcit encore, il se précipite vers la sortie de secours et tous s’engouffrent après lui...
Œuvre collective dans sa mise en scène et sa fabrication, Room With A View porte la signature du musicien électro Rone et du collectif chorégraphique (La)Horde, qui ont d’abord collaboré ensemble à la création d’un spectacle éponyme prévu juste avant le début du confinement, en mars 2020. Le court métrage correspondant a été tourné au même moment, et si la rage qu’on y voit faisait partie du projet initial, elle a évidemment trouvé dans cette situation une stimulation supplémentaire et une résonance particulière.
On voit dans le film certains extraits du spectacle remis en scène avec des corps traversés de soubresauts, jetés, projetés, coursés, dans la scénographie apocalyptique voulue par les artistes. Filmés en groupe, mais également au plus près des corps et des visages, les danseurs et danseuses semblent habités par une énergie dont on ne sait si elle est créatrice ou destructrice, désespérée ou salvatrice. Cette énergie, ainsi que les corps toujours ramenés à terre, les poings qui frappent les poitrines et les pieds qui battent le sol, rappelle d’ailleurs un autre court métrage également issu d’un spectacle chorégraphique : Les Indes galantes de Clément Cogitore (2017).
Ici, cependant, le mouvement général est celui d’une course éperdue vers le ciel, des gradins aux coulisses jusqu’à la scène, pour se terminer finalement sur le toit du Théâtre du Châtelet. Un mouvement qui est autant celui des danseurs et danseuses que celui d’un appel d’air dont le premier plan nous montre les prémices parmi les spectateurs, malmenant un visage qui grimace étrangement, avant de se transformer en véritable tempête. Celle-ci a été pensée par La Horde comme une métaphore politique et artistique (“Cet ouragan destructeur balaye tous les vestiges d’un monde mourant”, est-il précisé dans la présentation du spectacle), de même que la frénésie de la danse, qui évoque autant la fête que la manifestation de rue.
Mais on peut rétrospectivement les voir aussi comme une dernière tentative avant la fermeture des lieux de spectacle, un désir de s’extraire des contraintes qui allaient peu après nous être imposées et nous ramener à nos limites physiques. Avec l’utilisation de la motion capture, ces limites sont d’ailleurs repoussées pour transformer les corps en un seul objet flottant comme un ballon de baudruche dans le ciel de Paris.
Au moment où nous connaissons encore certaines restrictions, le film continue à nous apparaître comme une brèche, un moment perché, une utopie ambiguë, une chambre avec vue sur un autre horizon dont on ne sait exactement s’il est perdu ou désiré…
Anne-Sophie Lepicard
France, 2020, 5 minutes.
Réalisation : (La)Horde. Image : Alex Lamarque. Montage : Édouard Mailaender. Son : Si Begg. Musique originale : Rone. Montage : Édouard Mailaender. Animation : Boris Ramonguilhem. Interprétation : Rone, Sarah Abicht, Daniel Alwell, Mathieu Aribot, Malgorzata Czajowska, Clara Davidson, Myrto Georgiadi, Vito Giotta, Nathan Gombert, Nonoka Kato, Kelly Keesing, Yoshiko Kinoshita, Angel Martinez-Hernandez, Filippo Nannucci, Tomer Pistiner, Aya Sato, Dovydas Strimaitis, Elena Valls-Garcia et Nahimana Vandenbussche. Production : Sourdoreille et Infiné.