Cahier critique 08/03/2022

“Romance, abscisse et ordonnée” de Louise Condemi

Une nouvelle coupe de cheveux. Un regard. Et la routine affligeante du lycée se change en odyssée amoureuse pour Romane, seize ans. Mais Diego est aussi beau que lâche et l’amour aussi doux que cruel. Romane fait face, armée de courage et d’humour.

Vent de fraîcheur sur le teen movie ! Louise Condemi signe un court métrage réjouissant après son premier film, autoproduit, Une tasse de chlore. La frontalité, la finesse et l’humour se donnent la main tout le long de ce récit initiatique. Soit un lycée, auquel un établissement de La Rochelle sert de décor. Soit une adolescente de seize ans, Romane, que le premier plan place malicieusement en spectatrice. Le film démarre par un baiser, une pelle cadrée en gros plan sur deux visages, avant que la caméra ne recule, et que les commentaires des jeunes autour ne fusent. Le sujet est planté et peut enchaîner sur le portrait de la donzelle, bientôt frappée par un coup de foudre. Oui, le crush sur Diego, filmé au ralenti et au son d’une harpe, avec sa nouvelle coupe de cheveux. “Oh, bordel… Je crois que ma vie vient de prendre tout son sens.”, lâche l’héroïne. Une déclaration savoureuse en amorce de son parcours déterminé, tout comme son aînée d’Une tasse de chlore passait son temps à s’auto-convaincre, en voix-off intérieure, de tenir bon à la piscine.

La cinéaste joue malicieusement avec les figures du genre. La typographie des personnages (la protagoniste sympa, le beau gosse, les meilleures potes, la méchante, l’obsédé, la bonne élève, etc.), des lieux (chambres décorées, cour et couloirs d’école, terrain de sport), des couleurs (vêtements aux tons pops et acidulés) et des actions (crush, fête, première fois, scènes de groupe, scènes en duo) est agrémentée de notes personnelles. Ainsi, l’œuvre distille des éléments du conte – avec le gimmick de trois fées prophétiques – et de la comédie potache, avec des injections de crudité verbale à des moments parfois anodins (“sperme, sperme”, “espèce d’enculé”). Ce bon dosage de passages obligés et de trouvailles débouche sur un ton joyeusement décalé. La drôlerie fonctionne à merveille aussi grâce au sens du dialogue et de la situation. “C’est cool de te moucher”, lance Romane à Diego quand elle ne sait pas sur quoi enchaîner durant sa première approche. “Meuf, tu te changes encore une fois, je t’assassine !”, sort une copine durant les essayages d’avant soirée.

Capucine Valmary campe Romane avec aplomb et grâce. Elle épate, tant son jeu au premier degré colle au personnage dans n’importe quelle circonstance, de l’idéalisme à la désillusion, de la conviction au tremblement. Avec une présence évoquant Christa Théret et Leïla Bekhti, elle est la lumière de ce film, et le parfait écho du travail méticuleux de Louise Condemi. Son petit bijou simple et discret illustre avec panache sa maxime placée en cours de récit : “L’amour, c’est du courage”. Car la ligne potache se double d’un vrai trajet sentimental, et ce cinéma assume son romanesque et son sens de la bravoure. La déclaration finale prend une forme inattendue, d’une maturité désarmante, entre boutade et larmes de crocodile des jeunes footeux. C’est avec le sourire que l’on ressort de ces vingt-six minutes. Et avec l’impatience de suivre les prochains pas de la réalisatrice.

Olivier Pélisson

France, 2019, 26 minutes.
­Réalisation et scénario : Louise Condemi. Image : Marine Atlan. Montage : Basile Trouillet. Son : Mariette Mathieu-Goudier et Paul Jousselin. Musique originale : Déborah Bombard-Golicki. Interprétation : Capucine Valmary, Lucien Arnaud, Clara Benador, Alix de Kermoysan, Louis Crousse et Mathilde Fichet. Production : Apaches films.