Cahier critique 05/02/2020

"Riviera" de Jonas Schloesing

Rencontre du troisième âge !

Comme son titre l’indique, Riviera de Jonas Schloesing s’applique avant tout à dépeindre un lieu et son ambiance, si particulière. Cette animation en noir et blanc, aux traits un peu caricaturaux pour les corps, surprend par la minutie et le réalisme presque photographique qui plante le décor : une résidence du Sud de la France, calme et isolée au milieu d’une végétation luxuriante. Sous un soleil immobile, le temps s’étire au chant des cigales et des clapotis de la piscine.

Autour de cette piscine, épicentre faussement immobile et plat, s’installent les habitués : monsieur Osganzi et Madame Carmen, corps vieillissants et disgracieux à la langueur imposée par la chaleur méridionale. Monsieur Osganzi s’abandonne mollement à la somnolence ; Madame Carmen s’installe, tire nerveusement sur sa cigarette. Depuis son appartement, Monsieur Henriet, lui aussi marqué par l’âge et, comme au ralenti, les guette, les épie. Dans une immobilité à mi-chemin entre l’observateur d’oiseau et le prédateur aguerri, il observe, à travers ses jumelles, chacun dans les moindres détails.

Le temps semble suspendu dans un manège huilé, peut-être quotidien. Celui d’un troisième âge venu compter sur des jours meilleurs au soleil. Celui où le calme tant recherché laisse malheureusement trop de place aux angoisses de la vieillesse, au surgissement d’une mémoire enfouie. Entre deux prises de cachets, au son du ventilateur ou d’un énième documentaire animalier, le temps s’écoule trop lentement et les souvenirs parfois affluent, ceux d’une guerre, ceux d’une famille, des souvenirs d’une vie d’avant la résidence qui viennent tromper l’ennui mortel et l’oubli.

Mais un enfant éclabousse et joue, une jeune fille trempe ses pieds dans l’eau, plonge et déambule. Son corps parfait s’offre au regard de Monsieur Henriet. Et les perturbations, les inattendus, ainsi surviennent, et bousculent la morosité d’un quotidien autant qu’ils interrogent nos certitudes.

À travers le rapprochement entre une jeunesse insouciante et un vieil homme déclinant, Riviera invite à s’interroger sur notre rapport à la maladie, à la dépendance, au plaisir honteux ou coupable, autant qu’à la jouissance et aux dernières étincelles de lucidité et de vie.

Marie-Anne Campos

Réalisation et scénario : Jonas Schloesing. Animation : Jonas Schloesing, Léo Bruyat
et Rosalie Loncin. Montage : Catherine Aladenise, Stéphanie Sicard et Éric Mauger.
Compositing : Jonas Schloesing et Rosalie Loncin. Son : Mathieu Z'Graggen et
Régis Diebold. Production : Ikki Films.