Cahier critique 08/06/2021

“Rivages” de Sophie Racine

Une petite île au large des côtes bretonnes ; le temps est orageux, le vent souffle, les nuages sombres ont envahi le ciel. La lumière met en évidence, l’espace d’un instant, les silhouettes d’un arbre, d’une maison, d’un promeneur. Puis, l’orage éclate... Un film qui fait appel aux sens, sur l’eau, le vent et la lumière.

Depuis ses débuts en 2012, dans le cadre de son cursus à La Cambre, Sophie Racine explore un genre peu courant au cinéma, directement emprunté à la peinture : le film de paysage, né du désir de saisir les impressions vives et particulières de chaque lieu, les plus infimes mouvements de la nature. Les nuages qui avancent doucement dans le ciel, la danse des reflets du soleil dans l’eau, le frémissement des feuilles… Les infimes détails du monde, qui sont d’ordinaire de simples motifs du décor, deviennent dans ses films des protagonistes à part entière. L’élément liquide (rivières, torrents, mers) y tient notamment une place prépondérante, et l’on n’est guère étonné de voir la réalisatrice y revenir avec Rivages, son premier court métrage professionnel. 

Présenté en compétition au Festival d’Annecy en 2020, où il a reçu le Prix André-Martin, le film prolonge ses recherches formelles en faisant une nouvelle fois le pari audacieux d’une narration ténue, détachée de la notion d’intrigue à proprement parler, et voulant avant tout retranscrire l'atmosphère foisonnante d’une petite île au large des côtes bretonnes. Sans dialogues, et pratiquement sans présence humaine, il est construit sur une succession de plans plutôt courts qui donnent à voir différentes scènes se déroulant sur le rivage. Ils sont envisagés dans un style graphique épuré, qui évoque la gravure à l’eau-forte, et soutenus par un accompagnement musical et sonore qui contribue à l’instantanéité presque documentaire de chaque scène. Le spectateur a l’impression d’être un observateur privilégié contemplant les détails du paysage comme à travers une longue vue. Il s’agit de moments minuscules (le vent qui souffle dans les herbes hautes, les vagues qui se brisent sur les rochers, des silhouettes à peine esquissées qui marchent sur la plage) captés comme tels, sans emphase. L’action se résume d’ailleurs à l’aléa météorologique d’un orage qui éclate.  

Événement plutôt modeste s’il en est, mais qui offre un vaste terrain d’expérimentation formelle à la réalisatrice. Elle joue d’ailleurs de ce sujet classique en poussant presque jusqu’à l’abstraction l’aspect graphique de la pluie qui tombe – innombrables lignes blanches obliques qui recouvrent le reste du décor – ou de l’eau qui bouillonne – aplats laiteux mousseux et menaçants. Puis c’est l’apaisement et le retour au calme, avec la lumière qui rejaillit des nuages et la nuit qui tombe doucement. Le voyage est résolument minimaliste, et en partie intérieur, mais comme toujours, la destination compte moins que le chemin parcouru. En l'occurrence, Rivages offre une véritable “expérience sensible” (l'expression est de la réalisatrice elle-même), dont la poésie transcende l’apparente simplicité. 

 

Marie-Pauline Mollaret 

France, 2020, 8 minutes.
Réalisation, scénario, montage et animation : Sophie Racine. Son et musique originale : Yan Volsy. Animation : Gabriel Jacquel. Production : Am Stram Gram.