Cahier critique 30/06/2017

“Rhapsody” de Constance Meyer

Gérard Depardieu dans un rôle tout en douceur.

Rhapsody raconte un homme plutôt qu’une histoire. Cet homme, Gérard Depardieu, ne travaille pas, mais garde chaque jour le bébé de sa voisine et compose parfois sur un synthétiseur. Le film reprend quelques journées de sa vie, dans la chaleur d'été de son appartement, mais ces jours pourraient être en automne ou en hiver, un an avant ou après, ils seraient les mêmes.

Une musique l’accompagne : “Sometimes I Feel Like a Motherless Child”, chant puissant et douloureux des Negro Spirituals. Originellement cette musique était chantée en chœur et c’est aux premières images du film une chorale qui l’interprète, des visages en gros plan, baignés dans une lumière angélique, le lieu invisible autour d’eux comme s’ils faisaient partie d’un rêve. Ce début laisse craindre une certaine dramatisation de la solitude de cet homme. La musique continue au fil du récit, comme s’il l’écrivait lui-même.

Mais, au contraire, la réalisatrice Constance Meyer montre par la suite le quotidien de cet homme fermement, solidement, guidée par la force du chant et le corps présent de Depardieu, massif et gracieux par le monde intérieur qui s'en dégage, léger et calme. Sa solitude devient éclairante, une présence concentrée au monde.

Comme les Noirs des États-Unis ont imaginé au XIXe siècle les paroles des Negro Spirituals à partir des textes bibliques et de leur expérience de chaque jour comme esclaves, exilés de leur terre, dans Rhapsody quotidien et grâce sont liés.  

L'homme vit en hauteur, dans une tour de laquelle il regarde souvent les alentours ; une place piétonne entre d’autres immeubles et les passants, figures lointaines et abstraites. Peu de sons parviennent du dehors, sauf celui, étrange, des avions. La ville en général a une présence forte mais irréelle, comme ce bar où il retrouve chaque soir son ami (Guillaume Nicloux) qui parle la plupart du temps tout seul, et entre les deux le patron asiatique immobile. L’homme se tourne vers l'extérieur, mais il ne semble jamais faire partie de cet extérieur-même, comme si, dans cet appartement, il appartenait à un autre monde.

Le bébé, avec la musique qu'il compose, est sa vie. La beauté de Rhapsody vient de la simplicité de ce récit, construit à travers la répétition du quotidien. À une séquence correspond un plan et à un plan correspond un geste avec l'enfant : le déjeuner, la lecture et – image centrale du film – la sieste, instant où ils sont en harmonie et où les êtres semblent s'inverser, l'homme devenant bébé, dormant comme un ange à côté du petit bien éveillé.

Léocadie Handke

Réalisation et scénario : Constance Meyer. Image : Christophe Offenstein. Montage : Anita Roth. Son : Antoine Baudouin, Fanny Weinzaepflen et Julien Perez. Décors : Anna Brun. Interprétation : Gérard Depardieu, Guillaume Nicloux et Arsène Roméo. Production : Silex Films / Carmen Films.