Cahier critique 11/01/2017

"Rétention" de Thomas Kruithof

Trois ans avant le thriller politique "La mécanique de l’ombre", "Rétention" s’inscrivait dans la réalité de la France d’aujourd’hui et du sort qui y est réservé aux sans-papiers. 

Un centre de rétention administrative, en région parisienne. Mathilde, jeune femme déterminée, travaille pour une association de défense des droits des résidents en instance d’expulsion. Dans la file d’attente qui s’étire devant la porte de son bureau se trouve Yuri, un mécanicien ukrainien dont le dossier va révéler un vice de forme.

Pour son premier film, Thomas Kruithof maîtrise un sujet d’actualité sensible en évitant de nombreux pièges de narration ou de mise en scène. Son regard, presque clinique, sur le mécanisme – bien huilé – des expulsions des sans-papiers, donne toute sa force au film.

Au centre du processus se trouve Mathilde. Dans ce dédale de grilles, de couloirs gris et de bureaux sans lumière, la jolie juriste en chemisier rose détonne et tente d’enrayer la machine administrative implacable. Mathilde est, elle aussi, en milieu hostile, isolée dans une enclave policière qui n’a aucun respect pour son travail, aucune considération pour sa mission. Les uns entrent dans son bureau sans frapper, l’autre prétexte une fin de service pour ne pas faire une copie d’un dossier ; avec intelligence, patience et charme, Mathilde semble pouvoir faire tomber toutes les barrières. Y compris en expliquant par le détail à Yuri, en désespoir de cause, à quel moment déclencher le délicat “refus d’embarquer”. Dans ce milieu déshumanisé où l’on traite les dossiers sans les lire, elle est une petite flamme d’espoir pour les futurs expulsés. De peur de la perdre, ou qu’elle ne s’éteigne, le réalisateur la suit partout, la garde précieusement et constamment dans son cadre. 

De cette narration en prise avec le réel, qui permet d’éviter tout pathos gênant ou romantisme déplacé, Thomas Kruithof distille un suspense qui tient à la fois du film de prétoire et de prison. Yuri ayant été arrêté lors d’une convocation à la préfecture, sa détention est illégale ; commence alors une – courte – course contre la montre pour Mathilde. Mais ici pas de cascades, ni d’effets de manches : Rétention garde le cap du réalisme glacé, de l’efficacité de sa mise en scène toujours liée à sa simplicité. Sans tirer sur une trop facile corde émotionnelle, le réalisateur tisse la chronique poignante d’un échec annoncé et le portrait subtil d’une femme non résignée.

Fabrice Marquat

Article paru dans Bref n°110, 2014.

Réalisation : Thomas Kruithof. Scénario : Thomas Kruithof et Alice Bougenot. Image : Benjamin Louet. Son : Yoann Angelvy, Damien Tronchot et Matthieu Langlet. Montage : Jean-Baptiste Beaudouin. Musique : Grégoire Auger. Décors : Gwendoline Descamps. Interprétation : Anne Azoulay, Fouad Aouni, Thierry d'Armor, Mohand Saci, Miglen Mirtchev, Olivier Martin-Salvan, Damien Bonnard et Annette Huraux. Production : 24 25 Films.