Cahier critique 23/08/2022

“Réplique” d’Antoine Giorgini

Aujourd’hui, Tony passe une audition au conservatoire d’art dramatique. Mais Steven, son meilleur ami censé lui donner la réplique, n’est pas là. Après avoir échoué à lui trouver un remplaçant, Tony quitte les lieux, déterminé à ne plus jamais adresser la parole au traître.

Antoine Giorgini a travaillé pendant ses études comme animateur auprès d’adolescents, expérience qui a inspiré son écriture et l’envie de raconter des trajectoires de jeunes gens en errance et en quête de sens. Ce fut le cas pour son premier court métrage, Les brigands (2013), de même que pour le suivant, Réplique. Mais si la première séquence ancre ce film dans le registre d’un cinéma social, le réalisateur ne va ensuite cesser de naviguer entre différents registres. Son personnage principal, Tony, semble lui-même refuser d’être cantonné aux faubourgs et provoque le destin en partant auditionner au conservatoire du centre-ville, lieu par excellence de la distinction sociale.

Pourtant, nous n’aurons ni la séquence de l’audition, ni la comédie jouant sur l’intrusion d’un personnage dans un milieu étranger au sien, que le début du court pouvait laisser supposer, mais un basculement inattendu vers une séquence de film policier. Cette manière de déjouer les attentes rappelle d’ailleurs un autre court métrage réalisé à peu près au même moment, La convention de Genève (Benoit Martin, 2016). Celui-ci mettait également en scène des adolescents, avec une fin surprenante qui révélait un personnage.

Dans Réplique, nous entendrons finalement les tirades attendues de la Tempête de Shakespeare par Tony, mais dans un tout autre contexte que celui initialement prévu. Elles révèlent alors le jeune homme et le libèrent, à la fois au sens propre, comme pièce à conviction – il ressort du commissariat apparemment sans trop d’encombres – et au sens figuré – il apparaît aux yeux du policier autre qu’un ado de banlieue en passe de devenir un délinquant. Comme dans le reste du film et également comme dans le théâtre de Shakespeare, cette avant-dernière séquence oscille entre la comédie, le grotesque (avec le lieu insolite et l’incarnation par Steven du personnage de Miranda) et le drame, le sublime (Tony habitant le rôle de Ferdinand avec la conviction de celui qui joue son va-tout).

Ainsi, Tony et Steven traversent leur propre tempête et, à défaut d’incarner véritablement ces personnages shakespeariens, le deviennent eux-mêmes un peu. 

Anne-Sophie Lepicard

France, Belgique, 2016, 18 minutes.
­Réalisation et scénario : Antoine Giorgini. Image : Thomas Bataille. Montage : Cyril Slobodzian et Nicolas Sburlati. Son : Matthieu Roche, Thomas Grimm-Landsberg et Laurent Martin. Interprétation : Eddy Suiveng, Tobias Nuytten et Fabrizio Rongione. Production : Première Ligne Films et Wrong Men.