Cahier critique 29/06/2021

“Pyrale” de Roxanne Gaucherand

Été 2016, quelque part en Drôme provençale, une mystérieuse plaie s’abat sur les villages : des nuées de papillons blancs ont envahi la région. À l’approche de la nuit, on se calfeutre chez soi, pris au piège par ces nuisibles que rien ne semble arrêter.

Au moment où La nuée, de Just Philippot, déverse sur les écrans des salles ses flots de sauterelles, un autre insecte qui se déplace en bande fait son apparition sur notre plateforme. Teen movie romantique, documentaire animalier, film fantastique et clip, Pyrale est tout cela à la fois. Et ça marche. Si les différents accords de ce patchwork hybride s’harmonisent dans une réussite singulière, c’est grâce à un autre mélange, de maîtrise et de lâcher-prise, qui semble avoir animé la cinéaste et son équipe dont la démarche mêle artifices de la mise en scène et captation directe dans le réel. En compétition à Brive en 2021, cette coproduction franco-belge était repartie de Visions du Réel 2020 couronnée du Prix Burning Light et du Briff de Bruxelles avec le Prix du public. Une victoire à domicile pour la jeune cinéaste Roxanne Gaucherand qui est issue de l’école de cinéma bruxelloise l’INSAS. 

Pyrale”, c’est la pyrale du buis, un joli papillon argenté, une “si petite bestiole”, et pourtant une “espèce invasive” dangereusement toxique pour la végétation et tout l’écosystème de la Drôme provençale où se déroule le film et dont est originaire la cinéaste. Lou, dix-sept ou dix-huit ans, nous raconte en voix off l’invasion progressive de ces insectes soudain débarqués par centaines de milliers dans sa région. Grâce à son sens du détail dans l’image porté par un montage vif et habile, le film remplit ses cadres de mystère et d’ambiguïté. Il dessine son territoire, la “petite ville de province du Sud de la France”, comme un décor teinté de suspense, avec ses terrasses que l’on équipe de moustiquaires, ses fanions multicolores d’un 14 juillet préparé dans l’angoisse. De gros camions sur un parking rappellent Duel, un couple d’inséparables est inquiet dans sa cage. Comme le dit une adolescente : “On dirait un film d’horreur. C’est Les papillons d’Hitchcock !”. Puis, en clin d’œil malicieux à l’aspect pédago-didactique du documentaire animalier, un garde-forestier présente le bilan de ses recherches et un apiculteur explique sa lutte pour que ses abeilles parviennent à cohabiter en paix avec le papillon néfaste. Dans la tradition de la rencontre documentaire, nous faisons connaissance avec les grands-parents de Lou et avec quelques habitants du village ; et nous assistons aussi aux soirées de la jeunesse locale. Le film ne cesse d’être conscient des genres multiples qui le composent et semble ainsi nourrir une réflexion constante sur la nature des images. 

Roxanne Gaucherand ne se prive pas du plaisir visuel qu’offrent ces spectaculaires tempêtes d’insectes. Elle insère des plans, filmés au téléphone portable, des impressionnants essaims, leur danse dans les phares des voitures ou autour des réverbères. Elle capte en macro leur corps gracile qui se pose sur les fleurs. Le paysage sonore n’est pas en reste avec ses battements d’ailes se fondant dans des rythmes électroniques. Lou est amoureuse de son amie Sam et se confie au spectateur. On est tenté de voir en la pyrale une métaphore du désir : volatile, dangereux, menaçant et beau, qui s’infiltre et “prend la place de tout”. Sam et Lou apprennent à le connaître. Un maillot de bain rouge au bord d’une piscine convoque Naissance des pieuvres (Céline Sciamma, 2007). Loin d’une simplification anthropomorphique, cette métaphore est tissée au fil à soie, sans aucune lourdeur. Perturbées par nos ampoules artificielles, les pyrales cherchent en réalité leur propre lumière, lunaire, étrangère à l’homme. 

Cloé Tralci 

Belgique, France, 2020, 48 minutes
Réalisation et scénario : Roxanne Gaucherand. Image : Raimon Gaffier et Edwige Moreau. Montage : Léo Parmentier. Son : Alban Cayrol. Musique originale : Daniel Bleikolm. Interprétation : Flavie Pons et Lou Vaultier. Production : Koroko et Quartett Production.